Une bulle des avocats ?

Posté le 12 mai, 2013 dans avocats / advocacy

En 2012 l’Etude ayant eu le chiffre d’affaires le plus élevé est DLA Piper, $ 2,4 milliards – pour 4’000 avocats. Baker & McKenzie est deuxième avec 2,3 milliards, mais leur rentabilité n’est pas identique : 604 millions pour DLA Piper contre 790 pour Baker. Ce sont des mastodontes : présence dans 30 pays pour DLA Piper, 70 bureaux pour Baker. Aux Etats-Unis, les cent plus gros cabinets affichent un chiffre d’affaires de 73 milliards de dollars, et leur moyenne de chiffre d’affaires par avocat est de 844’000 dollars avec un maximum de 1,275 million chez Skadden Arps. A des années lumières des pratiques européennes continentales – mais dont la rentabilité est supérieure en termes de pourcentage pour les meilleurs cabinets, les frais généraux de ces Etudes géantes étant à leur mesure. Un chiffre d’affaires robuste et consistant donc pour celles-ci, même s’il a eu ses variations avec les crises dès lors qu’elles servent l’économie plutôt que les particuliers. S’il y a eu des grincements en lien avec la formation des juristes aux Etats-Unis, problèmes de coût des études et des prêts qui les endettent d’entrée sans assurance de trouver un emploi suffisamment rémunéré pour les rembourser, universités qui trafiquent leur statistiques de diplômés trouvant un emploi et pour quel salaire, formation trop académique et pas assez pratique, le futur des juristes semble aux Etats-Unis comme en Europe en principe assuré – tant la vie devient plus complexe, plus juridique, et le nombre de lois et règlements augmente. Un auteur pourtant ne le voit pas ainsi et prédit une « bulle » des avocats.

Dans un livre intitulé « The Lawyer Bubble », Steven J. Harper, ancien associé de Kirkland & Ellis et professeur associé à Northwestern, décrit des perspectives sombres pour la profession et sa filière de formation : beaucoup trop d’avocats aveuglés par le prestige du métier, mais auxquels on ment sur leurs perspectives, malheureux et dépressifs, pressés humainement et financièrement comme des citrons par des grands cabinets qui ne pensent qu’à leurs revenus à court terme, après avoir été formés par des facultés qui ne pensent qu’à leur classement. Trop de brillants esprits galvaudés dans un marché qui n’en vaut pas la peine, où ils sont exploités et misérables, jusqu’aux sauvetages de grands cabinets par des fusions léonines et à leur faillite éventuelle comme Dewey & LeBoeuf. Bref un portrait académique proche de l’excellente et drôle fiction de l’inévitable Grisham The Litigators (en français Les Partenaires) dans lequel un brillant collaborateur produit d’Harvard pète un câble, quitte un prestigieux cabinet d’affaires de Chicago où il n’en peut plus pour finir, par le détour d’une cuite monumentale, associé à deux avocats ripoux improbables et entamer une énorme class action pharmaceutique dont ils n’ont aucune idée. Plus sérieusement, l’analyse de The Lawyer Bubble est intéressante, critique et critiquée. Professeur de droit à NYU, Richard Epstein estime que Harper se trompe de débat. Une faillite comme celle de Dewey, aussi retentissante ait-elle été, est une exception. La profession se re-shuffle à certains égards – mais pas au détriment des grands cabinets. Ce sont davantage les solistes et petites Etudes qui ont à craindre des services low-cost online comme LegalZoom ou RocketLawyer.

Toujours difficile d’analyser une profession tellement éparse et segmentée ayant à la fois ses smicards et ses superstars. Des réalités économiques et de typologies de mandats très différentes. Difficile d’en dresser un portrait prospectif fiable et utile, également parce que la profession ne fait pas l’objet de l’attention qu’elle mérite en rapport avec son poids économique et son utilité. Les particuliers se sentent mal servis parce que le recours à un avocat est vite cher. Trop cher car l’avocat et trop formé et a rapidement une structure de coût trop élevée. La classe moyenne a des difficultés d’accès à la justice qui est également chère en termes d’émoluments – in fine seuls les pauvres et les riches y ont un accès facilité, les riches car ils ont les moyens et les pauvres car ils ont l’assistance judiciaire. Les PME sont mal servies également – peu d’Etudes présentent une palette de service abordable et des forces vives suffisantes et intégrées sur l’ensemble de leurs besoins : droit des sociétés, droit du travail, droit des contrats, droit de la prévoyance, droit fiscal, droit des assurances, droit de la concurrence, droit des marchés financiers, etc. Et personne pour leur faire des IPO sur un second marché qui n’existe pas et les aider à trouver et structurer du financement. Les fiduciaires sont chères et ne les servent pas mieux. Et les avocats restent souvent cantonnés au rôle d’avoué pour quand il y a un  problème. Bref, beaucoup de juristes mais pour un marché, en Suisse, qui sert bien de nombreuses niches mais en a encore beaucoup d’autres à desservir. Pour qui saura s’y glisser.

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