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UBS / Etats-Unis : Comprendre le coup de canif dans le secret bancaire par le Deferred Prosecution Agreement – et le prochain orage : La plainte civile pour perte de shareholder value du fait de ses actes illicites aux Etats-Unis

Les autorités suisses viennent d’expliquer le tour de passe-passe plus ou moins fondé par lequel elles vont faire plaisir aux Etats-Unis en permettant la divulgation immédiate (mais probablement simplement accélérée – signifiant que ce n’est pas là une immense concession même si elle choque) de noms de clients, et permettant ainsi la conclusion d’un accord entre l’UBS et les Etats-Unis mettant largement fin au litige actuel avec les autorités américaines (cf. ce blog du 22 novembre [1]). L’UBS vient de publier son propre communiqué [2]. La Finma [3] et le Conseil fédéral [4] également. La Finma « court-circuite » ainsi le processus d’entraide judiciaire internationale en matière fiscale prévue par la Convention avec les Etats-Unis et ordonne la remise des données de clients en question. Le motif invoqué est qu’à défaut, l’UBS risquait des conséquences juridiques telles que cela mettait son existence en péril, cela mettant à son tour en péril la stabilité financière de la Suisse. L’on glosera longtemps encore sur les mérites ou les démérites juridiques de cette décision d’exception, la question de savoir si elle viole ou non la séparation des pouvoirs, le fait que la Confédération est simultanément actionnaire de l’UBS et les conséquences globales à plus long terme sur la place financière de ce coup de canif dans le secret bancaire. Cet accord permettra toutefois à l’UBS de mettre la majeure partie de ce litige derrière elle et, surtout, de ne pas risquer sa licence bancaire aux Etats-Unis. Il est assurément opportun que l’UBS ait conclu cet accord. Les banques ont besoin du marché intérieur américain et de pouvoir opérer sur la place financière américaine – il n’y a pas de discussion à cet égard. Le système juridique américain est également tel que la transaction est le mode presque naturel de règlement de tels litiges avec l’immense avantage de la rapidité. L’UBS a raison de mettre ainsi ses problèmes derrière elle, presque indépendamment du coût, comme elle l’avait fait plus discrètement s’agissant des ARS [5]. Déblayer le présent des casseroles est essentiel en période troublée pour repartir d’un bon pied. Pour comprendre cette opération, le mieux est cepedant de lire l’accord judiciaire lui-même, le « Deferred Prosecution Agreement » [6] qui est plus qu’intéressant.

Il va y avoir force lamentations sur cette brèche de plus dans le secret bancaire – et elle est réelle et ne manquera pas de susciter des vocations auprès d’autres Etats. La réalité est cependant que la principale banque du pays en est seule responsable, au préjudice de cette industrie toute entière. Il peut apparaître paradoxal qu’un acteur emblématique de l’industrie qui bénéficie du secret bancaire le flingue simultanément, par des pratiques qui violaient visiblement la loi et l’accord QI, plutôt que de le revendiquer mais en pouvant se targuer de rester strictement dans les clous. C’est pourtant et hélas ainsi. La Suisse et l’UBS volent à vue dans une problématique qui est complexe et évolue presque quotidiennement, et qui comporte plusieurs composants dont la protection de la sphère privée, les différences entre systèmes fiscaux, la concurrence fiscale internationale, l’évasion fiscale internationale de capitaux et la concurrence commerciale entre places financières.   

D’une manière liée, et c’est toujours triste de tirer sur une ambulance même si en l’espèce les ambulanciers l’ont bien cherché, une procédure civile vient de débuter contre l’UBS devant la District Court du Southern District de New York sur un point de droit qui m’a toujours intéressé : la responsabilité de la société (et cas échéant de ses organes) pour le dommage causé par des actes illicites résultant en une baisse du cours de bourse (soit de la shareholder value). Telle est l’axe de la demande [7], sollicitant le statut de Class Action, déposée contre UBS AG et certains de ses dirigeants le 3 janvier 2009 par un fonds de pension des employés de la Nouvelle Orléans. La demande soutient que la banque et ses organes ont commis des actes illicites aux Etats-Unis, précisément l’affaire fiscale visée par la procédure à Miami, et que sa révélation a fait directement et causalement chuter le cours de bourse, causant un dommage aux actionnaires. La demande s’appuie également sur le fait que connaissant leurs actes illicites mais en ne les révélant pas, les défendeurs ont conservé secret un fait ayant un impact à la fois sur la valeur de la société et sur son cours de bourse, et donc trompé le marché. A suivre ! C’est une problématique passionnante en termes de fonctionnement des marchés, de théorie du dommage (et de la causalité), et d’accountability d’une société et de ses organes pour acte illicite.