Suspension de Lara Gut : La lamentable rechute de Swiss-Ski

Posté le 16 décembre, 2010 dans sport / sportlaw

En Suisse, il est possible et libre de critiquer un conseiller fédéral, un politicien, un dirigeant d’entreprise, de dire qu’un membre de la FIFA est corrompu ou suspecté de l’être, de s’exprimer sur un livre ou un film, un fait ou un acte public, et la liberté d’expression est garantie par la Constitution, la CEDH, le droit civil, etc. Dans les limites connues et balisées du droit et notamment de la diffamation. En 2010, Wikileaks publie des documents classifiés américains sans sanction possible pour la même raison de la liberté d’expression et d’information. Mais lorsqu’une jeune fille de dix-neuf ans, Lara Gut, sportive d’élite, personnage public par essence pour cette partie de sa vie, commet le crime de lèse-fédération d’avoir osé critiquer publiquement un entraîneur, homme public également, lequel venait d’ailleurs, à teneur de dépêches, de faire de même, elle est suspendue pour deux courses. Cela est inadmissible, contraire au droit – mais surtout, et c’est là le plus grave, révèle que Swiss-Ski, comme d’autres fédérations sportives, demeure hantée par des vieux démons autoritaires, féodaux, militaires, brefs, s’agissant du sport, hélas bien suisses. Il est difficile de critiquer une fédération qui a en l’état de plutôt bons résultats sportifs, une équipe qui gagne. Mais sur ce coup-là, elle démontre qu’elle n’a toujours rien compris ni au droit, ni au droit du sport, ni au sport moderne, ni même au sport business moderne. Et qu’outre la sottise de se priver de l’une de ses meilleures athlètes pour ces deux courses, et de l’en priver elle dans son (dur) chemin de retour au top après sa blessure, Swiss-Ski ne mérite que des coups de bâtons – et le dénommé Dirk Beisel qui l’a annoncé, sinon décidé.

Il faut ainsi le dire franchement, la règle disciplinaire « bateau » de Swiss-Ski sur laquelle une telle sanction se fonde en l’espèce ne tiendrait pas une seule seconde en cas de procédure en justice. Lara Gut pourrait obtenir contre Swiss-Ski des mesures provisionnelles lui permettant de courir tout de même lors de ces deux courses. Sportive professionnelle, elle bénéficie – outre sa pleine liberté d’expression – de protections constitutionnelles et de droits subjectifs issus du droit du travail et des droits de la personnalité pour pratiquer son sport – et métier. Et est fondée à réclamer des dommages intérêts, gain manqué, tort moral et accessoires à Swiss-Ski. Elle ne le fera probablement pas car elle est malheureusement « mariée » à Swiss-Ski pour sa carrière, et ce serait ouvrir une guerre toujours très déstabilisante pour l’athlète, qui est la partie faible dans ce type de disputes. Mais Swiss-Ski le mériterait cent fois. In fine, Swiss-Ski ne comprend ainsi toujours pas que le public veut et aime des athlètes qui ont de la personnalité, qui s’expriment, qui flashent et flambent. Pas des moutons lisses qui disent « oui, amen » à des entraîneurs encore plus lisses. Ce que l’immense popularité de Didier Cuche, Bode Miller et autres Julia Mancuso démontre inoxydablement (Le Temps du 04.12.08 – Ski américain le versant déjanté du Cirque blanc).

Ce que Lara Gut a dit dans la presse sur Mauro Pini n’a donc aucune espèce d’importance, le public s’en moque complètement, aime Lara – et Swiss-Ski se tire dans le pied en prenant une mesure incompréhensible, ridicule et impopulaire. Jusqu’à nouvel avis, c’est Lara Gut qui s’entraîne dur, qui risque son intégrité physique sur les pistes, qui prend les risques et les chances de sa carrière. Pas l’entraîneur ni le dirigeant qui, eux, sont de simples salariés et disposable, qu’ils soient bons comme mauvais. Certes la fédération donne aux athlètes le cadre pour réussir – mais précisément parce qu’ils n’ont pas le choix, et précisément moins dans le cas de Lara qui s’est faite seule. Mais tout cela ne change rien au fait que in fine, c’est l’athlète qui gagne ou qui perd. Que le public adule ou boude.  Même si le ski est un sport encore très autoritairement verrouillé, notamment au niveau de la FIS, à son préjudice, Swiss-Ski agit là à son propre détriment. C’est typiquement ce genre de comportement qui fera à terme du ski ce qu’il est, comme le tennis : un sport en réalité individuel. Et ce jour là, faute de l’avoir compris et anticipé, Swiss-Ski aura perdu, le cas échéant en justice, une immense partie de ses prérogatives. Ce blog en parlait déjà en mars 2008, s’agissant de Lara déjà. Comme ses entraîneurs le crient toujours à l’impayable Bode dans le portillon, disons la même chose à Lara  « Go, Lara, go, you can do it ».

une réponse à “ Suspension de Lara Gut : La lamentable rechute de Swiss-Ski ”

  1. […] la FIS et la concurrence – mais mémoire bien courte et peu de cohérence suite à l’affaire Lara Gut en début de saison. Point commun pourtant : Didier Cuche et Lara Gut sont les deux meilleurs […]

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