
Sphère privée et barbouzeries à la française : La saine et rassurante condamnation obtenue par Bruno Gaccio et autres contre d’anciens employés de Canal+
Or donc épilogue en première instance de la procédure pénale issue d’un livre publié en avril 2005 par une ex-barbouze : le Tribunal Correctionnel de Paris a condamné celle-ci et quatre autres personnes (jugement) le 1er décembre pour plusieurs délits commis au préjudice en premier lieu de Bruno Gaccio, rédacteur emblématique des Guignols de l’Info. Mostly facts driven, ce jugement condamne ainsi plusieurs agents du service de sécurité de Canal+ ayant surveillé Bruno Gaccio de manière illicite à l’époque de la fronde interne contre le licenciement de Pierre Lescure. Les infractions ne sont ni exceptionnelles ni nouvelles : violation de domicile, atteinte à l’intimité de la vie privée, violation du secret des correspondances et violation du secret professionnel s’agissant de relevés de téléphone. Mais il est sain et rassurant qu’elles aient été poursuivies – même si c’est toujours un long chemin de croix pour un plaignant : les faits datent de 2002 à 2005, les plaintes de 2005 et le jugement (de première instance) tombant … fin 2011. Ce jugement se lit comme un mauvais polar. Anciens flics et espions reconvertis en bien minables agents de sécurité privée exécuteurs de basses œuvres illicites et le sachant, coups de mains également knowingly illicites que rendent à ces anciens collègues des agents encore en poste, objectif de rechercher des faits de nature privée à des fins de nuire, ou encore velléités de montages de toutes pièces de faits de nature à compromettre. Il frappe tout d’abord qu’un ancien espion écrive un livre révélant ces turpitudes, plus encore l’adresse au Parquet ce dont résultera en fin de compte sa condamnation !
En principe, comme l’avait célèbrement dit au 20 heures l’Amiral Imbot lors de l’affaire Greenpeace, dans services secrets, il y a le mot secret. Etonnant ensuite et toujours cette culture de fouinage, d’espionnage et d’invasion de la sphère privée à fin de nuire – c’est-à-dire sortant sans ambages d’une mission légitime de sécurité visant par des méthodes licites la défense d’un objet social protégé. Etonnant que ces pratiques soient récuremment le fait d’anciens policiers, c’est-à-dire ayant en principe passé leur carrière à faire appliquer la loi et poursuivre des délits, et connaissant par définition le caractère illicite de leurs démarches. Etonnante cette collaboration interlope mais fréquente dans ce type d’affaires entre privés anciens flics et anciens collègues encore flics. Tout cela participant d’une tradition et d’une conception très françaises du renseignement privé, des réseaux, des influences occultes – à des fins sécuritaires mais le plus souvent dévoyées par des intérêts particuliers illégitimes. In fine un vestige de la féodalité et de l’Etat central lui ayant succédé – mais qui vient se heurter aujourd’hui à l’Etat de droit, à la protection de la sphère privée dans un monde libre et ouvert, et à l’accountability qui en résulte.
Au plan du droit, ce jugement n’est donc pas très spectaculaire. Les infractions – violation de domicile, atteinte à l’intimité de la vie privée, violation du secret des correspondances et violation du secret professionnel – sont claires, connues, balisées, presque banales. S’il peut toujours sembler curieux que des juristes se félicitent que des infractions dont la prévention est établie soient poursuivies, encore faut-il qu’elles le soient et il est toujours heureux et un succès quand elles le sont. La route est longue. Et particulièrement en matière de violation de la sphère privée. Dans le monde actuel libre et ouvert, dont une large part de l’existence privée est en ligne et électronique, il est techniquement assez facile d’accéder à des données relevant de celle-ci, de surprendre la vie intime d’autrui, et d’en faire usage. Le dommage est souvent immédiat et dévastateur lorsque les faits connus illicitement sont utilisés ou révélés. Et les remèdes juridiques souvent lourds, compliqués et chers à mettre en œuvre. Un tel jugement est donc sain et rassurant en tant que rappel que comme autrefois d’ouvrir une lettre, que nonobstant une facilité d’accès au fait d’autrui par des moyens techniques, c’est illicite et constitue un délit pénal. Pour des e-mails comme cela peut l’être même pour des SMS, et au même titre que dans cette affaire une violation de domicile dont le public perçoit plus classiquement qu’il s’agit d’un délit. Que (même) pour un ancien flic d’obtenir et d’utiliser des fichiers d’appels téléphoniques est réprimé – au-delà d’être illicite. Que tout cela n’est pas dans une zone grise ou d’impunité parce que facilement accessible ou encore le fait de barbouzes ou de réseaux. Que la sphère privée a cette valeur forte que lui donne le droit. Et c’est très bien – et que ce message passe et repasse.