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Sonova Logitech & Cie : Et si le problème des délits d’initiés et de l’incapacité à les poursuivre ne se situait pas dans la nécessité d’une refonte complète du droit des marchés – autour de la notion de conflit d’intérêts ?

En Suisse les « milieux intéressés » sont très clairs : il n’y a aucune nécessité de revoir le droit du délit d’initié, réglementaire comme sanctionnel. Comme plusieurs fois évoqué sur ce blog (cf. ici [1], ici [2] et ici [3] p. ex.), il faut croire que la Suisse est un marché vertueux puisqu’il n’y a pas d’opérations d’initiés, en tout cas de poursuivies et/ou donnant lieu à des condamnations. Il a donc fallu deux cas qualifiables de crasses, d’évidents dans l’exploitation concrète d’un avantage, pour que la place se réveille et s’interroge (cf. également l’affaire assez similaire EADS/A380 [4]). Dans Sonova il s’agit de la vente d’actions par des membres de la direction avant un profit warning. Dans Logitech il s’agit aussi de transactions de cadres, mais après une annonce favorable et entre celle-ci et la suivante, défavorable. Cela a à juste titre créé débat, mais un débat qui sera stérile car concentré sur le problème des transactions du management et s’enlisant rapidement dans les problèmes juridiques, de preuve et de bonne foi. Et dont il est donc fort à craindre qu’il n’en ressortira rien. Pourtant, une réflexion complète et globale s’imposerait parce que de tels « problèmes » de marchés, dont seul un minuscule échantillon non-représentatif se fait jour, rejoignent un autre problème majeur des activités de services financiers en général : le conflit d’intérêts et l’égalité face au risque. Explication.

Dans la quasi-totalité des cas concrets, même si ce n’est pas nécessaire à son existence, le délit d’initié comporte pour exploiter un avantage un bris de loyauté, d’un devoir rémunéré, et in fine donc un conflit d’intérêts. Dans la relation entre le client/investisseur et le banquier/prestataire de services financiers, le conflit d’intérêts se retrouve également central à la quasi-totalité des cas portés en justice. C’est donc le même « problème » qui est ainsi traité par une mosaïque de législations et règlements encadrant par compartiments une série d’activités distinctes mais liées. Avec pour effet que cette mosaïque se révèle inadaptée et dépassée, et avec elle la jurisprudence et les capacités de surveillance des autorités. N’en déplaise à des milieux allergiques à la réglementation mais qui sont incapables de fonctionner d’une manière qui ne l’appelle pas, une refonte est nécessaire et qui soit à la fois globale et centrée, dans l’ensemble de l’activité financière et de marchés, autour des trois notions de conflits d’intérêt/égalité devant le risque/devoir de fidélité. Quelques exemples dans l’actualité illustrent cette similarité. Au plan du délit d’initié tout d’abord, Sonova et Logitech en Suisse : transactions par des insiders (au sens propre) en lien avec des connaissances internes et des annonces au marché. Aux Etats-Unis, dans Galleon, gros procès pénal ($ 63 mio de profits) contre un gérant de hedge fund : obtention de « tuyaux » par des informateurs au sein d’opérateurs ou de sociétés cotées, dont un au sein de Goldman Sachs sur une acquisition dans Goldman par Berkshire Hattaway. Ou encore au sein de Berkshire Hattaway un cadre élevé ayant acquis des titres d’une entreprise cotée avant que, ayant proposé l’opération à Berkshire, celle-ci ne formule une offre sur la cible. Aux Etats-Unis encore, un avocat actif dans le domaine des M&A est poursuivi pour avoir relayé des tuyaux à un trader, et un chimiste de la FDA pour avoir exploité des informations sur l’approbation de médicaments. Chacune de ces affaires pose des questions juridiques sur la notion d’information confidentielle et matérielle. A délit d’initié classique défense classique, Rajaratnam se défend dans Galleon par les recommandations publiquement disponibles sur les titres traités sur la base de tuyaux. Les cadres de Sonova sur l’imprécision des règles et tentant de déplacer le délit sur le terrain de la seule éthique. Ou le cadre de Berkhsire par un problème de définition juridique s’agissant d’une opération recommandée par lui.

Dans tous ces cas se retrouve pourtant la notion de conflit d’intérêts et d’égalité sur le marché. Ce qui est exactement le cas dans le reproche fait à Goldman dans Abacus [5], dans le front-running par des gérants, de fonds ou non, par rapport à des ordres pour compte de clients, souvent massifs et collectifs, dans la question de savoir si un gérant peut être investi dans son propre fonds – parce qu’il en ressort avant ses clients lorsque les marchés sont défavorables à ses paris, dans les communications entre les opérations pour compte propre d’une banque et les activités pour la clientèle gérée, soit entre le proprietary et le market making trading desks, dans un autre CDO Goldman Hudson Mezzanine (décidément ils sont partout ceux-là – y compris dans ce qui passe dans le collimateur) contre lequel Goldman pariait alors qu’ils le vendaient « long », etc. etc. Aucune de ces questions n’est simple a résoudre, ni dans ce qui est favorable au marché et à sa liquidité, ni dans ce qui devrait ou ne devrait pas être licite, dans ce qui distord l’égalité devant les chances et les risques. Toutes aussi complexes et difficiles à définir sont les règles désirables sur la publicité d’évènements influant sur un cours. La Cour fédérale de Karlsruhe vient de donner une piste en condamnant (civilement) une banque pour avoir pris un pari contre son propre client, en d’autres termes gagné lorsque et s’il perdait lui dans le cadre du produit vendu. Toutes ces questions doivent être reprises de manière globale, dans une réforme complète et intégrée, et articulées avec l’obligation de transparence qui appartient aussi à la question même du conflit d’intérêts. Les contours d’un conflit d’intérêt ne sont pas non plus faciles à fixer et la question des seuils selon le degré d’acuité d’un conflit non plus. Mais contrairement à une crainte souvent exprimée, il ne sera pas impossible de travailler dans un marché expurgé des conflits qui y existent actuellement. L’éclatement puis la séparation entre acteurs aujourd’hui consolidés ne pourra qu’être profitable au consommateur et cela bien au-delà de la seule égalité dans les marchés et de la suppression des conflits d’intérêts.