Sociétés anonymes d’avocats / décision (négative) de la Commission du Barreau du 4 juin 2007

Posté le 6 octobre, 2007 dans avocats / advocacy

La Commission du Barreau de Genève a rendu le 4 juin une décision très importante pour la profession d’avocat puisque refusant en l’état l’exercice de la profession à Genève sous forme de SA. Il est au demeurant étonnant et regrettable que, plus de trois mois après sa reddition, elle n’ait fait l’objet d’aucune communication, analyse et/ou commentaire à ses membres de la part de l’OdA. Des informations utiles et ordonnées sur ce sujet, dont d’autres décisions des autorités cantonales du Barreau, sont toutefois disponibles en ligne sur le site de la FSA http://www.llca.org/, mais lequel ne comporte cependant pas encore non plus cette décision genevoise du 4 juin 2007 (ainsi que, de manière plus détaillée encore, dans la partie du site de la FSA réservée aux membres).

Cette décision interpelle dès lors que les autorités compétentes d’autres cantons (BE, OW, ZH) ont admis la pratique sous cette forme sociale. Indépendamment de son intérêt abstrait, elle met cependant les praticiens, à l’heure de la libre circulation en Suisse et au plan international, face à des décisions cantonales contradictoires sur une modalité essentielle d’exercice de la profession. Il s’agit d’un problème actuel et concret puisque plusieurs Etudes exercent aujourd’hui sous cette forme dans plusieurs cantons, ainsi que des Etudes étrangères organisées dans leur pays d’origine sous forme de sociétés.

La motivation de cette décision appelle deux commentaires d’ordre général. Si l’art. 10 Lpav est le véritable obstacle (et donc que l’on n’admet pas que 10 Lpav doive céder le pas envers la LLCA admettant in fine l’exercice sous forme de SA parce qu’elle ne le prohibe pas), le problème est alors la question strictement genevoise de savoir s’il est soutenable de maintenir une disposition certes historique et sympathique mais qui est manifestement à l’arrière-garde du débat. La Commission avoue d’ailleurs ne pas avoir sur ce point la liberté de faire œuvre de législateur – mais où en sommes-nous alors ? Si le problème réside en revanche dans la question (épineuse) de savoir si la LLCA prohibe effectivement également l’organisation en SA, liant en cela les cantons, la décision genevoise, si d’aventure elle venait à être confirmée à cet égard par le TF, compliquera singulièrement la situation dans le paysage juridique suisse. Il en résultera alors nécessairement l’obligation de modifier la loi dans l’urgence, ce qui n’est jamais ni si rapide ni bon, dès lors que l’on imagine mal devoir revenir en arrière et agir à contre-courant de ce qui se passe à l’étranger et en Suisse dans la pratique. Aussi respectable soit-il pour certains de regretter cette évolution et l’exercice historiquement libéral de la profession, et aussi respectable sa motivation soit-elle également, cette décision de la Commission du Barreau est cependant véritablement problématique au plan de la prospective.

Cet attentisme genevois sur ce sujet, de manière générale, à l’exception bien sûr des Etudes qui s’y emploient, est donc regrettable sur un sujet aussi actuel et concret pour un secteur économique aussi important pour le canton et son industrie, pour ne pas dire sa monoculture, de services. Cela quelle que soit la taille d’une Etude puisque cette forme juridique peut présenter des avantages tant pour des grandes structures que pour des avocats exerçant seul ou à quelques associés, au plan fiscal, de la responsabilité, de la transmission du goodwill en cas de décès, etc. Indépendamment et au-delà donc de la motivation de la décision de la Commission du Barreau, la vraie question est bien de savoir si Genève doit être à l’avant-garde ou une fois de plus à l’arrière-garde sur un tel sujet. L’essentiel est également que le débat ait lieu, soit affiné et que la situation avance. Il faut pour cela que les avocats puissent être informés et conscients des événements qui interviennent sur ce plan, dont évidemment cette décision de la Commission du Barreau, laquelle a fait l’objet d’un recours et n’est donc pas définitive – mais dont l’intérêt public à la connaissance de ses considérants est manifeste.

JCM

Décision de la Commission du Barreau du 4 juin 2007

Concerne: Dossier 05/07 Me X et consorts

I. EN FAIT

1. Par courrier du 6 février 2007 déposé le même jour au greffe de la Commission du Barreau, Me X, agissant tant au nom de Mes A. & B., ses associés au sein de l’antenne genevoise de l’Etude Y, qu’à titre personnel, invite l’Autorité de surveillance des avocats à dire et constater que tous les avocats actifs dans leur bureau de Genève pourront continuer à être inscrit au registre des avocats du canton de Genève quand bien même l’Etude concernée viendrait pour l’avenir à fonctionner sous la forme d’une société anonyme. La requête présentée est accompagnée d’un important chargé de pièces touchant aussi bien des aspects factuels que juridiques.
2. Me X expose que l’Etude Y, dont il est l’un des associés, a été fondée en 1969, qu’elle emploie près de cent avocats en ayant des bureaux à Zurich, Genève, Lugano, Zoug et Londres.

L’Etude Y a son siège principal et ses racines historiques dans le canton de Zurich. C’est ainsi que par requête du 19 janvier 2006 adressée à la Aufsichtskommission über die Rechtsanwalte im Kanton Zurich elle avait sollicité, en collaboration et avec le soutien de l’Ordre des avocats de Zurich et de la Fédération suisse des avocats, une autorisation préalable et de principe de l’Autorité de surveillance permettant à une Etude d’avocats de s’organiser en la forme d’une société anonyme.

3. Peu de temps après le dépôt de la requête visée sous ch. 2, la Anwaltskommission des Kantons Obwalden, par décision du 29 mai 2006, a autorisé trois avocats à poursuivre leur activité en s’associant en la forme d’une société anonyme tout en demeurant inscrits au registre cantonal, les exigences d’indépendance imposées par la LLCA devant être considérées comme réalisées si les avocats eux-mêmes -et eux seuls- contrôlent la société anonyme.

4. Par décision du 5 octobre 2006, la Aufsichtskommission über die Rechtsanwalte im Kanton Zurich a statué sur la requête de l’Etude Y, admettant que l’inscription au registre cantonal des avocats actifs au sein de l’Etude devait être maintenue, nonobstant sa transformation en société anonyme, ceci sous certaines réserves et exigences liées aux statuts et au règlement d’organisation. L’Autorité de surveillance du canton de Zurich a statué en acceptant non seulement le principe de la pratique de la profession d’avocat sous couvert d’une société de capitaux, mais également la participation minoritaire de tiers non inscrit à un registre cantonal dans le cadre d’une pratique multidisciplinaire. La décision rendue par l’Autorité de surveillance du canton de Zurich a été communiquée à l’Ordre des avocats de Zurich et aux Demokratischen Juristinnen und Juristen de Zurich et n’a pas fait l’objet d’un recours du Tribunal administratif en application de l’art. 6 al.4 LLCA.

5. D’autres autorités cantonales ont rendu un avis préalable sur l’admissibilité de l’exercice de la profession d’avocat en la forme d’une société anonyme.

C’est ainsi que, saisie à titre consultatif par une Etude zurichoise disposant d’un bureau secondaire à Berne, la Chambre des avocats du canton de Berne statuant en séance plénière a rendu une brève décision notifiée le 27 février 2007 indiquant en substance qu’elle se ralliait aux conditions retenues par l’Autorité de surveillance du canton de Zurich, sans envisager d’imposer d’obligations supplémentaires à la création d’une société anonyme d’avocat telle qu’envisagée par l’Etude requérante.

De même, dans le canton de Lucerne, la Luzerner Anwalts Verband s’est prononcée par courrier de son président adressé à ses membres en mars 2007 en retenant que dans ce canton l’exploitation d’une étude d’avocat sous couvert d’une personne morale devait être admise pour autant que le « modèle zurichois », respectivement le modèle « obwaldien » soit respecté par l’entité concernée, l’examen par l’autorité de surveillance demeurant réservée si un modèle différent devait être adopté. Cet avis exprimé par l’Ordre des avocats du canton de Lucerne traduit, selon le courrier précité, les conclusions auxquelles sont parvenus le comité directeur de l’Ordre ainsi que les Autorités de surveillance des avocats et des notaires suite à un débat commun.

6. A Genève, l’association des avocats disposant du droit de recours contre les décisions d’inscription au registre cantonal selon l’art. 6 al. 4 LLCA, soit l’Ordre des avocats, a progressivement pris position sur la question de principe de l’exploitation d’une étude d’avocats sous la forme d’une société de capitaux.

A l’occasion d’une circulaire adressée aux membres de l’Ordre des avocats de Genève en date du 10 novembre 2005, le Bâtonnier faisait savoir que le Conseil de l’Ordre, interpellé sur la possibilité pour les avocats d’exercer leur profession sous la forme d’une société de capitaux, était parvenu à la conclusion intermédiaire que si, de lege lata au plan fédéral et in abstracto, l’exercice de la profession d’avocat sous forme de société de capitaux n’était pas exclu, il apparaissait hautement problématique, voire incompatible avec le respect des principes fondamentaux, en particulier s’agissant du respect des règles cardinales de la profession telle que l’exigence d’indépendance, le respect du secret professionnel, l’interdiction des conflits d’intérêts et la prohibition de la multidisciplinarité. Le Conseil de l’Ordre relevait en outre que si d’autres pays européens admettaient une pratique professionnelle du barreau en société, des formes juridiques spécifiques avaient été adoptées pour permettre de garantir le respect des règles et principes fondamentaux de la profession.

Dans un courrier adressé aux membres de l’Ordre des avocats le 24 janvier 2007, soit après les décisions rendues à Obwald et Zurich, le Conseil de l’Ordre faisait savoir, sous la plume de son Bâtonnier, qu’il ne s’opposait pas au principe de l’organisation des études sous forme de sociétés de capitaux, sous réserve du respect des règles cardinales de la profession que sont l’exigence de l’indépendance de l’avocat, le respect du secret professionnel, l’interdiction des conflits d’intérêts et l’interdiction de la multidisciplinarité. A cet égard, s’agissant d’une exploitation en société anonyme, le Conseil de l’Ordre a retenu les exigences suivantes:

– Tous les actionnaires de la société devront être avocats et exercer de manière permanente au sein de l’étude. Un avocat ne pourra pas être actionnaire de plusieurs études.

– Plus de deux tiers des actionnaires, qui devront également représenter plus de deux tiers du capital social, devront être des avocats inscrits à un registre cantonal, les autres avocats pouvant être des avocats étrangers inscrits ou non au tableau des avocats membres de l’UE ou de l’AELE.

– Les statuts devront prévoir que toutes décisions et élections ne pourront être valablement prises qu’à la majorité des actionnaires inscrits à un registre cantonal des avocats.

– Le Conseil d’administration sera composé d’avocats exclusivement, avec une majorité d’avocats inscrits à un registre cantonal.

– Le président du Conseil d’administration devra être un avocat inscrit à un registre cantonal, de même que les éventuels administrateurs délégués.

– Les décisions au Conseil d’administration seront prises à la majorité d’avocats inscrits a un registre cantonal.

Dans son rapport à l’assemblée générale de l’Ordre des avocats, Madame le Bâtonnier a confirmé la prise de position du Conseil de l’Ordre au regard de la compatibilité de l’organisation des études en société de capitaux avec le respect des principes fondamentaux régissant la profession, en particulier l’indépendance et le respect du secret professionnel. A l’occasion de cette assemblée, les conclusions auxquelles le Conseil de l’Ordre était parvenu n’a fait l’objet d’aucune remarque, observation ou remise en cause.

Interpellée par courrier du Président de la Commission du Barreau du 27 mars 2007, l’Association des Juristes Progressistes ne s’est pas déterminée sur sa position de principe au jour de la délibération de la Commission de céans.

7. Plusieurs Etudes genevoises, informées de la requête présentée par les associés genevois de Y, ont fait connaître à la Commission du Barreau qu’elles soutenaient ladite requête, pour des raisons parfois différentes d’ailleurs (besoin d’harmonisation dans les pratiques cantonales, nécessité de trouver des solutions pour les études à vocation transnationales, nécessité de dépasser le stade de la société de personne, nécessité d’éviter des distorsions de concurrence dans la profession, etc…) Les Etudes … ont ainsi marqué leur soutien à la requête ici traitée; il en va de même pour l’Etude Z. qui a saisi la Commission du Barreau d’une requête distincte relative à la possibilité pour ses associés de pratiquer à Genève sous couvert d’une succursale d’une LLP de droit anglais trouvant ses assises dans son bureau de Londres, requête sur laquelle il sera statué de manière séparée et en temps utile.

8. La Fédération suisse des avocats a clairement pris position sur le sujet en participant activement à la défense de la requête présentée par Y. à Zurich et en mettant à disposition de ses membres différents modèles et argumentaires permettant à ceux qui le souhaitent de démontrer aux autorités de surveillance cantonales que leur transformation en société anonyme satisfait aux exigences de la LLCA, en particulier sous l’angle des art. 12 et 13 LLCA.

De manière concrète, l’Etude Y. se propose d’adopter des règles spécifiques permettant de concilier, selon son analyse, les exigences de la LLCA et la forme de la société de capitaux.

C’est ainsi qu’elle a produit à l’appui de sa requête les statuts que l’Etude se propose d’adopter au moment de sa transformation en SA, le projet de règlement d’organisation, le projet de convention d’actionnaires ainsi que le modèle de contrat de travail appelé à lier la société anonyme et les associés de l’Etude dans leur statut d’employé. Pour des raisons de confidentialité, le contrat d’association réglant les aspects patrimoniaux n’a pas été joint à la requête.

La Commission du Barreau retient, après les avoir examinés, que les documents produits ne sortent pas du cadre admis par l’Autorité de surveillance du canton de Zurich dans sa décision du 5 octobre 2006 et prennent en considération les exigences fixées par cette autorité.

Les requérants présentent néanmoins une requête restant en deçà de ce qu’autorise la décision zurichoise qui permet des prises de participations minoritaires d’actionnaires qui ne seraient pas des avocats inscrits au Tableau, ouvrant ainsi la porte à la pratique multidisciplinaire. Il ressort en effet clairement du projet de statuts (article 3, 4eme paragraphe), que « Seuls des avocates et avocats titulaires d’un brevet d’avocat suisse et inscrits dans un registre des avocats suisse ou disposant d’un certificat d’aptitude équivalent délivré à l’étranger peuvent être actionnaires ». Les requérants précisent également qu’ils renonceront dès lors à inclure l’un des associés actuel de l’Etude, expert fiscal non titulaire du brevet d’avocat, à leur futur actionnariat.

Dans le cadre de l’examen de la cause, il doit également être relevé que le Règlement d’organisation du conseil d’administration interdit à cet organe « de donner des directives en matière de conduite concrète d’un mandat aux avocats responsables de mandats ainsi qu’aux collaborateurs juridiques qui leur sont subordonnés » (ch. 9 du règlement d’organisation); la même disposition précise également que  »la conduite du mandat et la conservation des actes reviennent à la personne en charge du mandat et aux collaborateurs juridiques qui lui sont subordonnés ». Ce principe est également pris en compte dans la convention d’actionnaire (ch.16).

Il doit encore être relevé que le contrat de travail d’associé au sein de Y. contient une disposition spécifique relative à la couverture d’assurance en responsabilité civile, assortie d’une obligation d’indemnisation de l’associé mis en cause (art. 3 Contrat de travail).

Finalement, la Commission du Barreau prend acte de l’engagement que font valoir les requérants de lui remettre, aux fins de contrôle du respect des exigences légales, le règlement de son conseil d’administration ainsi que la convention liant les actionnaires.

En dernier lieu, il doit être constaté que la requête présentée, sans qu’il ne lui en soit fait ici grief, ne traite pas des facultés qu’offre la forme de la société anonyme sous l’angle des possibilités accrues de financement des activités de l’Etude (capital participation, financement bancaire, etc…), cet aspect pouvant toutefois avoir un impact important sous l’angle du principe d’indépendance.

II. EN DROIT

1. La Commission du Barreau (art. 14 LPAv) exerce à Genève les compétences dévolues à l’autorité de surveillance des avocats par la Loi fédérale sur la libre circulation des avocats (LLCA) du 23 juin 2000, entrée en vigueur le 1er juin 2002. A ce titre, elle est en charge de la tenue du Registre cantonal des avocats (soit à Genève le Tableau) institué par le droit fédéral (art. 5 al.3 LLCA).

L’inscription à un Registre cantonal du titulaire d’un brevet d’avocat pratiquant dans le cadre du monopole la représentation en justice en Suisse est une exigence du droit fédéral depuis l’entrée en vigueur de la LLCA (art. 2 ainsi que 5 et 55 LLCA). La requête dont est saisie la Commission de céans s’inscrit ainsi dans le cadre de ses compétences.

2. Il a été jugé a de réitérées reprises, dans le respect d’une jurisprudence constante (cf. par ex. SJ. 2003 II 254, ad.ch. 7), que la Commission du Barreau n’est pas une autorité consultative et qu’elle n’a pas à apprécier, in abstracto, le comportement qu’un avocat se propose d’adopter.

Les requérants demandent à la Commission de céans de « dire et constater que les avocats actifs au sein de notre Bureau de Genève pourront continuer à être inscrits au registre des avocats du canton de Genève quand bien même notre Etude fonctionnerait sous la forme d’une société anonyme ». Alors même qu’ils semblent solliciter ainsi un préavis de l’autorité administrative, il y a lieu d’entrer en matière sur leur requête. En effet, en raison de la demande préalablement soumise à l’autorité zurichoise et de la réponse favorable qu’elle a reçue, force est d’admettre le caractère concret et actuel de la demande sous l’angle du respect des conditions d’inscription au Tableau; les associés genevois de l’Etude ont un intérêt légitime – ainsi qu’un devoir envers leurs clients – à être fixés sur la possibilité qu’ils ont de poursuivre ou non leur activité dans le cadre d’une structure juridique autorisée dans le canton de Zurich, où se trouve le siège principal de l’Etude, mais susceptible de ne pas être admise à Genève. La transparence de la démarche préalable permet de surcroît de statuer en dehors d’un examen disciplinaire et il n’y a pas lieu de succomber à un formalisme excessif en exigeant la transformation préalable de l’Etude en SA. La requête dont est saisie la Commission peut ainsi être traitée comme une requête formelle d’inscription au Tableau dans des conditions modifiées.

Sous cet angle également, la recevabilité de la demande doit dès lors être admise.

3a. L’art. 8 al. 1 let. d LLCA impose à l’avocat d’être en mesure de pratiquer en toute indépendance; cette même disposition veut que l’avocat ne puisse être employé que par des personnes elles-mêmes inscrites dans un registre cantonal. Ces règles s’inscrivent dans les conditions personnelles devant être remplies par l’avocat pour être inscrit à un registre cantonal. Seule une personne physique peut être inscrite à un registre cantonal, ceci à l’exclusion des sociétés de personnes ou de capitaux.

Le droit fédéral, au titre des règles professionnelles, fait également obligation à l’avocat d’exercer son activité professionnelle en toute indépendance, en son nom personnel et sous sa propre responsabilité (art. 12 let. b LLCA).

3b. La loi genevoise sur la profession d’avocat (LPAv) consacre l’exigence d’indépendance dans le texte même du serment professionnel de l’avocat (art. 27 LPAv). Elle contient également une disposition spécifique consacrée aux associations d’avocats (art. 10 LPAv); l’art. 10 al. 2 LPAv retient pour règle que l’association d’avocats ne peut revêtir la forme d’une société de capitaux, ce qui revient à exclure la forme de la société anonyme, de la société à responsabilité limitée et de la société en commandite par actions pour la pratique du Barreau. Le droit cantonal s’oppose ainsi clairement au projet des requérants.

L’art. 10 al. 2 LPAv est repris de l’art. 11 al. 2 aLPAv adopté le 15 mars 1985 par le législateur cantonal. Il s’agissait en 1985 d’une nouvelle règle introduite à l’occasion de l’adoption d’une loi spécifique sur la profession d’avocat remplaçant les dispositions contenues jusqu’alors dans la loi sur l’organisation judiciaire. Le projet de loi initial présenté par le Conseil d’Etat proposait de n’accepter l’association d’avocats que sous la forme d’une société simple (Mémorial des séances du Grand Conseil 1983, p. 1544). Le rapport de majorité présenté au Grand Conseil est plus nuancé (Mémorial des séances du Grand Conseil 1985, p. 489) et retient en particulier que, contrairement au Conseil d’Etat, la Commission du Grand Conseil n’entend pas limiter l’association d’avocats à la seule forme de la société simple, ceci sans accepter toutefois qu’elle puisse revêtir la forme d’une société de capitaux; la Commission du Grand Conseil considérait ainsi que l’exercice de la profession sous une forme commerciale apparaissait difficilement compatible avec l’indépendance de l’avocat tout en précisant « Il appartiendra, le cas échéant, à la commission du barreau de dégager à cet égard une solution tenant compte du caractère de la profession, de l’évolution et de l’exigence d’indépendance… » (ibid).

A l’heure où il devait adapter la LPAv à l’entrée en vigueur de la LLCA, le législateur cantonal a été saisi d’un projet de loi dont le commentaire article par article (Mémorial des séances du Grand Conseil 2000 p. 6105 ad. Art. 10 ), retient que sa teneur paraît compatible avec les art. 8 et 12 LLCA.

3c. Depuis l’entrée en vigueur de la LLCA, les cantons ne peuvent légiférer que de manière restreinte dans le domaine du droit applicable aux avocats. La loi fédérale sur les avocats réserve le droit des cantons de fixer, dans les limites du droit fédéral, les exigences pour l’obtention du brevet d’avocat ainsi que leur droit d’autoriser les titulaires des brevets d’avocat qu’ils délivrent à représenter des parties devant leurs propres autorités judiciaires (art. 3 LLCA). Le droit fédéral réserve également aux cantons l’organisation des autorités de surveillance (art. 14 LLCA), la tenue du registre cantonal

(art. 5 al. 3 LLCA) ainsi que du tableau public des avocats de l’UEIAELE (art. 28 al. 1 LLCA) et la procédure (art. 34 LLCA). En matière de règles professionnelles, la LLCA les fixe de manière exhaustive (Message du Conseil fédéral, FF 1999 p. 5355), de sorte qu’il n’existe plus dans ce domaine de place pour du droit cantonal, les cantons ne pouvant prévoir ni d’autres règles professionnelles, ni d’autres sanctions que celles retenues par le législateur fédéral (TF 2A.448/03 du 3 août 2004 cons.3). En matière d’admissibilité des sociétés anonymes d’avocats, la Fédération suisse des avocats réserve la lecture par les cantons des principes dictés par la LLCA (Revue de l’Avocat 2006, p.460). Se pose ainsi la question de savoir si l’art. 10 al. 2 LPAv contrevient au droit fédéral, ce dernier ne contenant aucune disposition réglementant formellement la forme juridique pouvant ou devant être adoptée par l’avocat dans l’exercice de sa profession.

Le principe de la force dérogatoire du droit fédéral est consacré à l’art. 49 al.1 Cst. du 18 avril 1999; il interdit aux cantons d’édicter des dispositions contraires au droit fédéral dans des domaines que la Confédération a réglementé de manière exhaustive. Dans le cadre d’un contrôle préjudiciel, la Commission du Barreau est-elle fondée à examiner la conformité de l’art. 10 al.2 LPAv avec la LLCA? En doctrine, si Moor (Droit administratif, vol. I,123) semble hésitant, retenant que la question est délicate, l’examen de cet aspect par les autorités subalternes ne se justifiant selon lui qu’en cas de violation manifeste du principe (le contrôle du respect du droit fédéral par les cantons incombe aux tribunaux cantonaux et au TF selon l’avis de J.-F. Aubert, N12 ad. art. 49 in AubertlMahon, Petit Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999), Auer/Malinverni/Hottelier (Droit constitutionnel suisse, vol. I, 359 et 360) retiennent que l’examen préjudiciel de cette question s’impose non seulement aux autorités judiciaires, mais à toutes les autorités chargées de l’application du droit (cf. également RDAF 1987, 433 A.). Dans une jurisprudence récente rendue en matière d’application de la LLCA dans une procédure tessinoise, le Tribunal fédéral a retenu qu’il revenait en premier lieu à l’Autorité de surveillance des avocats et notaires d’interpréter les dispositions de droit cantonal qu’elle est appelée à appliquer et d’en vérifier la compatibilité avec le droit de rang supérieur (TF 2P.79/2003 cons. 2.3 in fine).

La Commission du Barreau est ainsi fondée à examiner la conformité des dispositions de la LPAv au droit fédéral.

4. L’interdiction d’exercer la profession d’avocat sous forme de société de capitaux constitue une limitation à la liberté économique garantie par l’art. 27 Cst. Dès lors que cette prohibition ne résulte pas explicitement du droit fédéral, la LLCA ne comportant en particulier aucune disposition touchant aux formes juridiques admises pour la pratique du barreau, il convient d’examiner si la restriction imposée par le droit cantonal est admissible au regard de l’art. 36 Cst. Les restrictions à la liberté économique ne sont admissibles que si elles satisfont aux exigences de l’existence d’une base légale formelle, d’un intérêt public, du respect du principe de proportionnalité et à celui de l’égalité de traitement entre concurrents économiques. Les dérogations à la liberté économique ne sont quant à elles admises que si elles sont prévues par la Cst. ou fondées sur les droits régaliens des cantons (art. 94 al. 4 Cst); sauf ce dernier cas, les cantons ne sont ainsi pas autorisés à déroger au principe de la liberté économique. En matière d’activités économiques lucratives privées (ce qui est le cas de l’exercice de la profession d’avocat), la Confédération a la compétence de légiférer (art 95 Cst), ce qu’elle a fait avec la LLCA dans le cadre d’une compétence qui est qualifiée de concurrente (J.-F. Aubert, Petit Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, N.6 ad. Art 95 p. 744), la Confédération n’en ayant usé dans ce domaine que partiellement ( Message du Conseil fédéral, FF 1999 p. 5388).

Si le caractère exhaustif des règles professionnelles applicables des avocats ressort tant des travaux préparatoires (Message du Conseil fédéral, FF 1999 p. 5355 et 5368 que de la jurisprudence du Tribunal fédéral (par ex. TF 2A. 448/2003 cons. 3), la question de l’exhaustivité ou non des conditions d’exercice de la profession d’avocat dictées par la section 2 de la LLCA (art. 4 à 11, en particulier l’art. 8 LLCA dans la présente cause) n’apparaît pas avoir été tranchée, ni examinée dans le détail par la jurisprudence.

S’agissant du respect des exigences d’indépendance imposée par l’art. 8 al. 1 let. d LLCA, il convient de relever que l’objectif recherché par le législateur (Message du Conseil fédéral, FF 1999 p. 5354) veut que les autorités de surveillance puissent examiner, dès la demande d’inscription à un registre, si l’avocat est indépendant, notamment au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral, cette solution laissant « (…) aux autorités de surveillance, voire aux tribunaux, le soin de fixer les contours de l’indépendance en tenant compte essentiellement des problèmes de conflits d’intérêts ». Selon le Message (ibid), cette solution « ne porte pas préjudice à une évolution des pratiques cantonales en la matière » et « favorise, par le biais de la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’émergence d’une conception uniforme de la notion d’indépendance au niveau suisse, et donc conduit à une harmonisation progressive des pratiques cantonales ». Un certain espace de liberté apparaît avoir été laissé aux cantons et à leurs autorités de surveillance.

Le Message du Conseil fédéral (Message, p. 5358) précise par ailleurs que la LLCA n’a pas pour but de remplacer complètement les législations cantonales sur les avocats « qui resteront nécessaires »

Dans une jurisprudence récente (TF 1P. 541/2006 cons. 4.1.) le Tribunal fédéral retient, dans la logique d’une ancienne jurisprudence (ATF 91 I 17 cons. 5) que « le principe de la force dérogatoire du droit fédéral n’est pas (…) violé dans la mesure où la loi cantonale vient renforcer l’efficacité de la réglementation fédérale. »

Tel est le cas, aux yeux de la Commission du Barreau, de l’intégralité des règles cantonales de l’art. 10 LPAv.

5. L’art. 10 LPAv n’est pas une simple reprise du texte du droit cantonal préexistant à la LLCA, texte qui illustrait de manière claire et dépourvue de toute équivoque la lecture du principe d’indépendance dans les Barreaux de tradition latine (le Message du Conseil fédéral qualifie de  »stricte » la vision genevoise de l’indépendance, Message p. 5349), mais il traduit effectivement, et sans être en contradiction avec la loi fédérale, les obligations concrètes qui découlent du principe fondamental de l’indépendance de l’avocat inscrit au Barreau.

L’art. 10 al. 1 LPAv prohibe l’association multidisciplinaire étant précisé que la multidisciplinarité n’est pas traitée par la LLCA et n’est pas en soi un de ses objectifs;

la même disposition interdit le partage de locaux entre avocats et personnes exerçant une autre activité professionnelle dans un souci évident de protection du secret professionnel.

L’art. 10 al. 2 LPAv, comme déjà relevé, interdit la pratique du Barreau sous forme de société de capitaux. Cette prohibition découle depuis le 1er juin 2002 de l’art. 8 al. 1 let. d LLCA qui interdit à l’avocat d’être employé d’une personne qu’elle soit physique ou morale, qui ne serait pas elle-même inscrite au registre cantonal, l’exigence d’indépendance étant sous cet angle également consacrée par l’art. 12 let. b LLCA faisant obligation à l’avocat d’agir en son nom personnel et sous sa propre responsabilité.

L’art. 10 al. 3 LPAv veut que l’association de plusieurs avocats ne puisse avoir pour effet de restreindre son indépendance ou sa liberté de refuser un mandat, sous réserve de l’art. 10 al.4 LPAv qui interdit la défense simultanée en justice des parties ayant des intérêts opposés, telle qu’édictée au titre de règle professionnelle par l’art. 12 let. c LLCA, qui trouve ainsi une référence d’interprétation dans le droit cantonal genevois.

L’art. 10 LPAv traduit ainsi et conforte les exigences liées à l’indépendance et à la responsabilité personnelle de l’avocat voulues par le droit fédéral.

6. L’autorité de céans constate en outre que le législateur fédéral n’a pas voulu admettre la possibilité pour les cabinets d’avocats de choisir librement la manière de s’organiser (Note de synthèse 99.027, LLCA), le Conseil national ayant volontairement écarté la proposition initiale du Conseil fédéral laissant à l’avocat le libre choix de la forme juridique de son Etude (BO, CN, N.43 et 44, 7 mars 2000). Le rapporteur de langue française, M. F. Marietan retenant (ibid) que « … la question de l’organisation des études d’avocats ne peut être résolue en quelques articles dans la loi sur la libre circulation qui est construite (…) sur le modèle d’avocat considéré comme personne physique. »

7. La Commission du Barreau retient également que la pratique de la profession sous forme d’une société de capitaux pose d’importants – pour ne pas dire « imposants » – problèmes sous l’angle de la protection du secret professionnel, ne serait-ce qu’en cas de scission ou faillite d’une SA d’avocats. Même si les difficultés semblent moindres dans ce domaine, certains risques peuvent également se présenter dans la révision des comptes de la société d’avocats.

8. La Commission du Barreau de Genève considère finalement que la LLCA a été pensée et voulue par le législateur fédéral dans l’optique d’une pratique traditionnelle du Barreau, comme profession libérale et indépendante, exigence qui se marie difficilement avec la structure d’une société de capitaux ceci en l’absence de garde-fous et garanties résultant de la loi elle-même aux fins de protéger celui, celle et ceux qui consultent un avocat inscrit à un registre cantonal. Les « garanties » proposées par les textes statutaires ou réglementaires d’une société anonyme peuvent facilement être modifiées ou édulcorées sans que l’autorité de surveillance n’en soit informée; l’idée même qu’un contrôle du respect de la LLCA par le conseil d’administration d’une société anonyme d’avocat puisse être efficacement mis en œuvre par l’autorité de surveillance apparaît illusoire, voire contraire aux dispositions du Code des obligations si l’on se souvient des attributions qualifiées d’inaliénables du Conseil d’administration (art. 716a CO).

Dans son analyse de la mission de l’avocat exerçant son activité dans le cadre du monopole de représentation en justice, en étant dès lors soumis à de strictes règles professionnelles, la Commission du Barreau ne peut imaginer qu’il puisse être dans l’Intérêt du client de l’avocat, du justiciable ou du citoyen d’échanger un rapport « intuitu personnae » avec un confident soumis à un serment tel que celui dicté par l’art. 27 LPAv ainsi qu’aux règles professionnelles imposées par les art. 12 et ss. LLCA contre une relation avec un mandataire dont l’activité est prioritairement régie par les art. 620 et ss. CO.

Si les préoccupations des grandes Etudes, sous l’angle de la concurrence de Cabinets étrangers ou d’autres prestataires de services, sont légitimes, il n’appartient pas à l’autorité de surveillance des avocats de se substituer au législateur pour apporter une réponse satisfaisant à leurs expectatives.

*****

Par ces motifs

Vu en droit les art. 1 et ss. not. 5, 6, 8, 12, 14 LLCA, 1 et ss. not. 10, 21, 27 et 50 LPAv

La Commission du Barreau

Rejette la requête de Mes X, A. & B. du 6 février 2007.

Dit et prononce, en sa qualité d’autorité chargée par l’art. 5 LLCA et l’art. 21 LPAv de la tenue du registre cantonal des avocats, que l’inscription d’un avocat employé par une Etude exploitée en la forme d’une société de capitaux ne satisfait pas aux exigences des art. 8 al.1 let d. LLCA et 10 LPAv.

Dans le respect du principe de l’art. 6 al. 4 LLCA, la présente décision est également notifiée à l’Ordre des avocats du Canton de Genève, tout comme elle le sera au Département des Institutions en raison de ses compétences propres sous l’angle de la LPAv.

Conformément à l’art. 50 LPAv, la présente décision peut faire l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif dans un délai de 30 jours dès sa notification.

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