Les problèmes que rencontre le secret bancaire, auxquels a également trait l’indictment [1] du plus haut responsable de la gestion privée de l’UBS, Raoul Weil, aux Etats-Unis, passent un peu à l’arrière-plan lorsque les marchés continuent leur dégringolade. Les attaques dont il est l’objet et sa défense par la Suisse restent toutefois un sujet actuel et inscrit à de nombreux agendas dont ceux de l’UE, de l’OCDE et des Etats-Unis. Les enjeux restent souvent mal exprimés même si le débat s’affine, puisqu’il est souvent reproché à la Suisse d’être un paradis fiscal – ce qu’elle n’est pas. Le problème porte en réalité sur la conjonction de trois facteurs : i) le système fiscal suisse qui distingue l’évasion de la fraude, mais notamment du fait de l’existence de l’impôt anticipé, ii) le secret bancaire qui accorde une confidentialité à tout titulaire suisse ou étranger d’un compte bancaire dans ce système comportant précisément l’impôt anticipé, et iii) le droit suisse de l’entraide judiciaire internationale qui exclut sa levée en matière fiscale sauf infraction pénale.
Le « système » suisse peut être critiqué comme tout système mais il a été valablement adopté, il est licite, cohérent, correspond à la sensibilité fiscale suisse et fonctionne au plan interne. Le problème ne lui est donc pas inhérent mais touche à sa conséquence externe qu’il permet à une épargne délocalisée étrangère d’y être hors d’atteinte des autorités fiscales de l’Etat du déposant. Le fait que la Suisse soit attaquée en tant que paradis fiscal permet la réplique que tel n’est pas le cas et l’explication par la licéité et la cohérence du système. Difficile également d’accorder par hypothèse à des Etats étrangers un accès aux comptes bancaires suisses de leurs contribuables dont l’administration suisse ne dispose pas envers ses propres contribuables au plan interne. L’attaque est cependant mal formulée, et le dialogue de sourds que de façade, puisque les Etats étrangers n’ont aucune velléité de réformer la fiscalité intérieure suisse mais seulement, trivialement, de reprendre la main sur l’épargne de leurs contribuables – et son revenu. Difficile de présager de l’issue et de la durée de ce différend. Il est probablement douteux, à tort ou à raison, que la Suisse imposera à terme sa vision au reste du monde – en tant qu’elle permet cette évasion/soustraction fiscale.
Indépendamment de ce débat diplomatique, le risque est cependant ailleurs – et non général et abstrait mais individuel et concret : la mise en cause personnelle à l’étranger du détenteur suisse de l’épargne étrangère. Précisément ce que l’indictment, l’inculpation de Raoul Weil aux Etats-Unis représente. Ce risque n’est que rarement évoqué dans le débat sur le secret bancaire, comme s’il était tabou. Certains le connaissent, d’autres plus intuitivement ou de manière plus diffuse, certains pas encore ou en font candidement abstraction dès lors qu’il ne se réalise que rarement en pratique. Ce risque là n’est cependant pas nouveau. La libre circulation et les échanges et moyens électroniques l’ont probablement réduit à certains égards. Les moyens électroniques de surveillance des Etats peuvent l’accroître à d’autres égards. Ceux qui l’ont identifié savent qu’il possède un lien intime avec la notion de for, de rattachement territorial de leurs activités. Pour parler clair, le banquier suisse ne s’expose en principe pas personnellement s’il n’accomplit aucun acte qui puisse être constitutif d’une infraction fiscale étrangère et rattaché au territoire étranger. C’est en outre ce que la Convention de diligence de l’ASB [2] vise depuis de nombreuses années déjà dans sa section sur l’interdiction de l’assistance active à la fuite de capitaux et à l’évasion fiscale.
La lecture de ces directives est très actuelle : sont-elles là comme règle de bonne conscience, sont-elles appliquées ou de façade, d’actualité ou dépassées, ou sont-elles encore une sorte de « cover your ass guide » ? En tout état, plus le débat sur la fiscalité de l’épargne traînera, plus ce risque là augmentera vraisemblablement. Quiconque est intéressé au débat sur le secret bancaire, qu’il y soit favorable ou opposé, devrait avoir lu l’indictment de Raoul Weil. Il pourra se faire une libre opinion du problème dans lequel l’UBS est enlisée, et avec elle le secret bancaire. Il pourra réaliser également que le canon est aussi tourné vers ceux qui, dans un monde global et sans avoir même déployé d’activité aux Etats-Unis, ont contribué à certains montages contournant par exemple l’accord QI – nommément les services juridiques internes. Cela peut choquer mais n’était probablement pas imprévisible.