Raisons sociales, concurrence déloyale et risque de confusion : Si Google l’a dit… ou lorsque le TF confond lui-même l’homme et la machine

Posté le 14 avril, 2010 dans droit / law

L’arrêt SJ 2010 p. 129 publiant l’arrêt du TF 4A.315/2009 (rendu à trois juges) a attiré mon attention par une phrase surprenante, fausse, et qui interpelle, puisque le TF en déduit en l’espèce (parmi d’autres éléments usuels en la matière) un risque de confusion entre deux raisons sociales proches : « Si l’on introduit cette même raison sociale sur le site de Google.ch, on obtient en première ligne des informations sur l’intimée. Que les personnes chargées de classer avec soin les données dans ces deux moteurs de recherche aient fait la confusion constitue un indice corroboratif sérieux que le risque de confusion existe » (c. 2.4). Et le recours contre l’arrêt cantonal ayant admis le risque de confusion entre Swiss Trustees SA et SwissIndependent Trustees SA d’être rejeté. Or le « référencement » sur Google, c’est-à-dire le fait pour une page web d’être identifiée, répertoriée et affichée dans le cadre d’une recherche selon une hiérarchie des résultats n’est le fait d’aucune personne humaine quelconque mais exclusivement de machines ! Le référencement intervient en fonction de critères logarithmiques et techniques propres à Google, largement secrets et évolutifs, qui font intervenir la fréquence de consultation de la page web concernée, ses liens internes ou externes avec d’autres pages ou d’autres sites référencés, le software sur lequel tourne le site qui contient la page web, le nombre de mots-clés référencés qu’elle contient, etc. Uniquement donc des critères techniques et n’impliquant aucun tri ou choix effectué par une ou des personnes physiques susceptibles d’être subjectivement confondues.

Faut-il du coup envisager que le risque de confusion du droit de la propriété intellectuelle puisse être admis lorsque la machine confond des raisons sociales litigieuses ? Ou parce que l’homme confond ensuite parce que la machine a confondu ? Je n’ai pas fait cette recherche et je ne sais si cela pourrait réellement prendre ancrage dans le droit actuel, ou s’il exige au contraire que le risque de confusion soit celui qui frappe des humains, directement ou indirectement. Il n’y a rien d’anormal en tout cas que les résultats de moteurs de recherches, qui font dorénavant partie de notre environnement au même titre que la presse ou d’autres médias, puissent être pris en compte. C’est une réalité. Les faits de l’arrêt ne disent pas au surplus qui est le « on » qui introduit la raison sociale de l’intimée dans Google. Cela a-t-il été plaidé par la partie ? Le TF a-t-il fait la recherche lui-même – pour arriver à cette conclusion ? Ce qui poserait alors le problème des moyens de preuve (notoires ?) non plaidés et non-produits par les parties elles-mêmes (?). La partie concernée a-t-elle invoqué le résultat de la recherche sur Google à l’appui de sa position d’un risque de confusion, mais sans expliquer le fonctionnement de Google ? Intéressant en tout cas et sûrement à suivre dans un arrêt ultérieur (cet arrêt 4A.315/2009 étant commenté également par KS avocats dans leur newsletter online et SIC mais renvoyant à Swisslex). Le TF avait déjà évoqué le résultat de recherches sur Google en lien avec le risque de confusion dans deux arrêts publiés précédents 135 III 416 (c. 2.3. – le contestable arrêt Calvi) et 131 III 572, mais plus factuellement et donc sans élaborer sur ce qu’implique juridiquement une telle prise en compte. Ce qu’il faudra bien qu’il fasse un jour.

2 réponses à “ Raisons sociales, concurrence déloyale et risque de confusion : Si Google l’a dit… ou lorsque le TF confond lui-même l’homme et la machine ”

  1. MarkSpizer dit :

    great post as usual!

  2. […] Dans un post du 14 avril 2010, il était question de la prise en compte par le TF d’un résultat d’une recherche Google – pour admettre un risque de confusion entre deux raisons sociales. Le TF se méprenait alors sur le fait que les résultats d’une recherche par moteur ne résultent pas d’un tri fait par des personnes physiques, et donc sujet à leur appréciation, mais exclusivement de machines. Une question subsidiaire se posait car ne ressortant pas de l’arrêt : cette référence aux résultats d’une recherche Google résultait-elle d’une production par les parties, ou le TF avait-il été faire cette recherche tout seul – posant par-là un problème d’administration des preuves. Le LawThinkTankBlog s’étant procuré l’arrêt cantonal, la réponse est claire et le résultat de la recherche sur Google a bien été produit par l’une des parties. Il n’en demeure qu’à l’heure d’Internet, la tentation doit sûrement exister pour un juge ou un greffier-juriste d’aller voir lui-même sur Internet ce qu’il retourne de points de fait plaidés dans le cadre d’une cause. Possible ? Pas possible ? […]

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