
Quelques suisseries : La mort de certaines expressions ésotériques vaudoises de procédure civile, les procureurs neuchâtelois ignorant la protection des sources des médias (suite) et retour sur le jugement Attac-Nestlé
Aucune relation entre ces sujets – sinon qu’ils sont suisses et juridiques. Le CPC a cette faculté formidable et qui était insoupçonnée que beaucoup de cantons ont conservé des pratiques… antérieures – alors que l’exercice visait l’unification. Mais celle-ci se concrétise néanmoins peu à peu et dans le canton de Vaud, ainsi un avocat s’est-il enfin fait retoquer son écriture : l’aveu indivisible, dont seuls les moines Chartreux savaient ce que cela voulait dire, ne correspond à rien dans le CPC et est donc mort. Le « rapport aux pièces », pas follement clair non plus, demeure toutefois « reçu à titre d’usage local ». Pour le reste il faut que l’allégué soit admis ou contesté, les explications restant admises tant que le juge comprend si l’allégué est admis ou contesté. Moi y-en-a compris. A Neuchâtel, les procureurs s’étaient rués chez un journaliste pour élucider une diffamation et violation du secret de fonction dans l’affaire de plagiat à l’Université (dont, une fois encore, tout le monde se moque éperdument). Un mois plus tard en septembre, le Tribunal cantonal rembarrait également tout cela. Perseverare diabolicum est, le Ministère public concluait à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours. Après quatre (!) pages sur la recevabilité, quatre pour dire ce que tout le monde savait – sauf les procureurs : la perquisition était inconcevable. Dont acte. Cet arrêt du Tribunal cantonal de Neuchâtel contient encore, sur au total dix pages consacrées au droit de fond, des développements intéressants sur la pression sur un journaliste que peut représenter la perquisition, et sur le fait qu’une mise en prévention du journaliste ne saurait être un subterfuge pour contourner la protection des sources. Un bon et détaillé rappel in fine de tous ces principes.
Nestlé et Attac c’est déjà vieux – le Jugement rendu par le Président du Tribunal Civil date du 25 janvier. Jugement fouillé de même pour une affaire médiatique mais surtout symbolique – posé sur deux constatations clés. Effarant – définitivement – que Securitas ait conduit une mission d’infiltration d’une association privée, et qu’une employée de Securitas ait accepté une telle mission, même si c’était il y a dix ans. Ainsi la légitimation passive de Nestlé est-elle liquidée rapidement : peu importe que Nestlé ait commandité cette action ou qu’elle ait été une initiative de Securitas, Nestlé ne l’a pas désapprouvée ni fait cesser, et a reçu et conservé ces rapports. Ce qui se tient. L’infiltration est ensuite qualifiée de procédé déloyal, de traîtrise, avec mauvaise conscience. L’atteinte à la liberté personnelle et à la sphère privée est caractérisée par le fait de priver les victimes du choix de partager les informations avec la personne infiltrée agissant avec dissimulation. Bien dit. Le jugement évacue ensuite un consentement même tacite d’Attac – vu la facilité et l’ouverture à devenir membre -, mettant l’accent sur la confiance qui régnait au sein du groupe. Ce raisonnement est sain, mais courageux. Il eut été possible à un jugement démissionnaire de dire qu’Attac n’avait qu’à faire attention, ou que la liberté d’adhérer ou de quitter le mouvement créait aussi un risque qu’une personne n’adhérant plus à la philosophie d’Attac aille raconter la messe à Nestlé.
Un peu plus curieuse est la conclusion qu’une publication de l’entier du jugement serait disproportionnée. La justice est publique et une telle problématique, et la constatation de l’atteinte illicite causée par deux acteurs économiques légitimes et importants, sont à l’évidence d’intérêt public. Critiquable est enfin le refus du Tribunal civil de communiquer spontanément le jugement (anonymisé) à un tiers qui en fait la demande au greffe. Sur ce point la justice vaudoise n’a pas encore fait sa mue.