Situation déjà évoquée [1] sur ce blog, le cas de policiers ou de magistrats qui dérapent est naturellement un sujet d’intérêt et de préoccupation pour le public – mais plus encore pour les autres participants nécessaires du système judiciaire, et cela indépendamment du taux de prévalence de ces cas. Aux Etats-Unis, deux juges de Pennsylvanie ont été condamnés à 28 et 17 ans de prison. Le juge Ciavarella avait été juge coupable d’avoir accepté $ 997’600 de pots-de-vin de la part de centres de détentions privés pour y avoir « dirigé » des condamnés mineurs dont la peine avait au surplus été alourdie pour qu’ils y restent plus longtemps. Son avocat a annoncé un appel contre la dureté excessive à leurs yeux de cette condamnation. Le juge Conahan a lui été condamné à 17 ans pour les mêmes faits (cf. WSJ Law Blog [2]). Inquiétant de savoir qu’un juge dont la tâche était de juger, et donc d’envoyer en prison, des mineurs, s’il a plaidé coupable, a fait valoir pour sa défense des problèmes personnels psychiatriques. En Suisse, le chef de la police judiciaire fédérale, comme si elle n’avait déjà eu assez de problèmes récemment, a emmené sa compagne russe de cinq mois, rencontrée dans un café, en voyage officiel en Russie où il devait nouer des contacts avec les services russes pour des affaires en lien avec la mafia et les fonds des oligarques. Fait ainsi exceptionnel, Michael Perler a été suspendu de ses fonctions [3] pour raisons – évidentes – de sécurité. En France, affaire largement évoquée dans la presse [4], le commissaire Michel Neyret, N°2 de la police judiciaire de Lyon, a été suspendu, mis en détention et mis en examen pour corruption, trafic d’influence et association de malfaiteurs. Plusieurs autres policiers sont impliqués. En France toujours, le procureur de Nanterre Philippe Courroye fait l’objet d’une enquête qui pourrait déboucher sur sa mise en examen pour un délit pénal – des investigations présumées illicites envers des journalistes. Décodage de ces situations – différentes et atypiques.
Dans le cas des juges Conahan et Ciavarella, le mobile est classique : l’argent, la corruption, soit l’usage d’un pouvoir en violation de ses devoirs pour en recevoir illégalement. Les peines prononcées sont effectivement élevées. La gravité réside à la fois dans cette violation de devoirs de leur charge sur dessein d’enrichissement illégitime, dans leur qualité de juges du siège et dans le fait d’avoir alourdi des condamnations de délinquants mineurs dans ce but d’enrichissement personnel. Dans le cas du commissaire Neyret, l’enquête est en cours. L’argent, des avantages personnels illicites, semblent être le même mobile, presque le seul mobile possible. Dans le cas de Michael Perler, l’amour, ou le sexe, ont causé un problème de sécurité. Il a également interféré avec un contrôle de sécurité pour préserver ses intérêts personnels. L’aveuglement causé par des raisons personnelles se double d’un manquement disciplinaire à des fins d’auto-favorisation. Cela peut apparaître moins grave, il n’y a pas eu de conséquence pour son service – mais l’aspect déterminant reste d’avoir causé un péril de sécurité concret pour un service de police criminelle pour des raisons personnelles. La gravité dépasse ainsi la simple erreur – pourtant évidente – de jugement. Et la sanction est à juste titre radicale opérationnellement. Dans le cas du procureur Courroye, l’accusation est d’avoir illicitement enquêté sur des données appartenant à la sphère personnelle de journalistes – pour identifier l’auteur de fuites dans la presse dans l’affaire Bettencourt. Le fait importe mais se situe cependant dans un contexte largement plus vaste et qui en accentue l’intérêt et la gravité. Le procureur Courroye a été très contesté comme juge d’instruction puis comme procureur pour certaines de ses méthodes et attitudes. Il a ensuite été enlisé dans un conflit personnel sanglant avec un autre magistrat, la juge d’instruction Isabelle Prévost-Désprez.
Le procureur Courroye conteste l’infraction qui lui est reprochée. Il fait valoir des moyens de défense procéduriers – mais de bonne guerre. S’il est susceptible d’être mis en examen, il en bénéfice comme en bénéficient ceux qu’il poursuit. Cela peut sembler fort de café qu’un magistrat se défende comme un délinquant – mais it’s fair game. C’est toutefois sur le fond un vrai faux-pas. Le secret de l’instruction est en France une passoire totale. Aucun magistrat ne s’émeut jamais lorsqu’un prévenu et son avocat se plaignent de fuites instantanées à leur préjudice. Parfois même orchestrées. Certains journalistes ont entretenu avec des juges d’instruction, procureurs, greffiers, policiers, des liens privilégiés et notoires demeurés constamment impunis – tant que c’était au préjudice de prévenus. Il est donc inadmissible et ne tiendra pas au fond qu’un magistrat puisse tout d’un coup s’en offusquer dans une enquête où c’est celle-ci qui en souffre, a fortiori en utilisant la voie de l’enquête sur des données de journalistes ce qui est illicite. Cette fin-là ne justifiera pas ce moyen-là. A ce point de fait et de droit circonscrit s’en ajoutera un autre que rencontrent de temps à autre des délinquants : se faire « serrer » sur une infraction pour toutes les autres pour lesquelles ils ont passé entre les gouttes. M. Courroye a trop souvent biaisé pour que cela n’entre pas également en jeu contre lui s’il est un jour mis en cause à juste titre. Dans tous ces cas de figure, des dépositaires de la puissance publique sont ainsi exposés pour des violations de leurs devoirs. L’essentiel ne réside néanmoins pas dans des actes qui sont des erreurs, des fautes, des délits – comme il y en a dans tout corps social. Il réside dans le fait que le système les identifie, les rectifie et les sanctionne. C’était le problème de l’affaire d’Outreau : davantage qu’un juge ait dérapé, que les mécanismes de contrôle aient également failli [5]. Lorsque des personnes possèdent le pouvoir de poursuivre, de juger, d’arrêter, de condamner, l’importance des mécanismes de contrôle et de leur bon fonctionnement [6] dépasse infiniment celle des manquements qu’ils doivent contrôler.