Quand juges et procureurs dérapent – les cas Courroye et Garzon, et le curieux retour de Kasper-Ansermet chez les Khmers Rouges

Posté le 13 février, 2012 dans justice

Ainsi le procureur Courroye a-t-il été mis en examen, et le juge Garzon condamné – comme cela était prévisible depuis plusieurs mois. Les deux pour finalement le même manquement : avoir outrepassé leurs pouvoirs dans l’enquête (écoutes illégales dans une affaire de corruption pour Garzon y compris entre les prévenus et leurs avocats, collecte illicite de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal et illicite et violation du secret des correspondances envers des journalistes pour Courroye). Grave – eu égard à leur fonction ? Pas grave – eu égard à la finalité de leur action et à leurs états de services ? Avant d’y répondre, il est drôle de noter qu’ils se défendent finalement comme les centaines de prévenus qu’ils ont poursuivi : en déclarant leur conscience tranquille, plaidant leur bonne-foi, que c’est injuste et dangereux pour l’institution judiciaire, que c’est une instrumentalisation des faits. La belle affaire. Leur cri est exactement celui de nombre de ceux qui affrontent la machine judiciaire. Dont acte. Le procureur Courroye jouit d’ailleurs de la présomption d’innocence même si des charges ont été énoncées contre lui – contre lesquelles il jouira de ses droits de défense. Sont-ils victimes de retours de bâton ou de coups bas – parce qu’ils dérangeaient ? L’excuse est facile – comme elle a été celle de nombreux puissants de l’économie ou de la politique poursuivis en justice. Le problème n’est pas celui du retour de bâton. Il est que celui qui exerce la poursuite pénale ne peut pas violer les règles en matière de collecte des preuves.

Et s’il le fait il s’expose à juste titre – quelle que soit l’inimitié ou la Schadenfreude qu’il s’est attiré par ailleurs ou en exerçant son ministère. Les règles en matière de collecte de la preuve en matière pénale ne sont pas un simple modus operandi ou de simples règles d’ordre. Elles sont un acquis historique essentiel de l’Etat de droit, elles participent des droits fondamentaux, de principes qui l’emportent sur la fin d’une enquête donnée – selon l’adage selon lequel la fin ne justifie pas les moyens. Poursuivre les délinquants qui troublent ou même minent l’ordre social est évidemment juste et honorable. Une mission et un serment. Il est compréhensible qu’un magistrat soit frustré de ne parfois pas arriver à collecter la preuve de faits qu’il suspecte ou dont il est presque certain. Il est en revanche incompréhensible qu’il viole la loi pour y parvenir. Cette loi ne vise pas seulement à protéger le délinquant dans l’enquête donnée, ce dont certains ont de tout temps eu la tentation de déduire (à tort!) qu’il ne serait alors pas si grave de s’en affranchir s’agissant d’un… délinquant. Elle protège aussi, surtout et bien au-delà le citoyen honorable et jouissant de sa présomption d’innocence, l’Etat de droit lui-même, et ses acquis comme la liberté d’expression et le secret des sources ou le secret du rapport avec son avocat. Donc grave – oui. Assurément. Et sain que cela soit le cas échéant poursuivi. Même si cela vient sanctionner des magistrats ayant mené de rudes ou justes combats.

Des nouvelles par ailleurs du juge suisse devenu photographe Kasper-Ansermet qui tient blog et twitte sur… des dossiers en cours ! Rebondissant une énième fois comme suppléant dans le Tribunal international sur les Khmers Rouges, sa nomination est refusée par Pnohm Penh mais il rouvre néanmoins le dossier. Il ne peut avoir tort – puisque le combat est juste – mais là est justement le problème comme il l’a souvent été pour ceux qui ont eu à être ses contradicteurs. Curieux personnage à l’âme de justicier incompris et dont les passages dans plusieurs instances genevoises en ont laissé plus d’un sceptique sur la justesse de ses perceptions de la poursuite pénale et sur ses qualités de juriste. Scary comme on dit en anglais. Et il n’est pas bon qu’un magistrat le soit autrement que par la justesse, la régularité et l’efficacité de son action. Mais en l’état c’est le problème des Khmers Rouges.

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