
Madoff – un an déjà : Quoi de neuf, Docteur ? Quelques nouvelles et chiffres du front
Je voulais parler d’autre chose – mais c’est l’anniversaire (!) de la fraude de Madoff et certaines évolutions sont intéressantes et méritent un update. Les chiffres d’abord. Le « net in », c’est-à-dire ce que les clients ont mis, est passé à l’issue de toutes les analyses à $ 19,4 mia (de 11,5 initialement annoncés). Ce que les clients pensaient détenir, profits fictifs compris, est toujours de $ 68 mia. Le trustee Picard a récupéré à ce jour $ 1,5 mia et a des procès pendants contre des clients pour récupérer des actifs à divers titres pour $ 15 mia. S’agissant des productions dans la faillite, 1’600 ont été admises à ce jour (sur 11’500) pour un total de $ 4,7 mia. L’assurance SIPC, plafonnée à $ 500’000 par tête, a déjà versé $ 560 mio à ces $ 4,7 mia de créanciers admis. Il resterait 4’500 productions à examiner. Les productions écartées sont celles de lésés qui n’étaient pas directement clients de BMIS ou dont les retraits excédaient le « net in ». Parmi les procès intentés, trois le sont à des investisseurs ayant retiré des profits (fictifs) pour des montants particulièrement importants : Carl Shapiro pour $ 1 mia, Jeffrey Picower, mort en octobre, pour $ 7 mia, et Stanley Chais pour également $ 1 mia. Ce sont, mais certains grands « feeder funds » aussi, parmi les principaux bénéficiaires-receleurs de la fraude ($ 9 mia sur $ 19,4 mia de « net in » à eux trois). La suite ? Quelques indications ci-après.
S’agissant du dividende futur, le trustee a donc environ $ 1,5 mia en caisse pour un passif admis pour l’instant de $ 4,7 mia. La différence entre le « net in » de $ 19,4 mia et les $ 4,7 mia de passif admis pour l’instant s’explique par deux facteurs. Le trustee n’a pas encore réglé la question de l’admission au passif de la majeure partie des feeder funds, en raison des créances en clawback qu’il a contre eux, d’une part. Les productions des feeder funds représenteraient une part importante du « net in ». L’autre raison est l’exclusion des productions des clients ayant retiré davantage que leur « net in » au titre de leurs profits – fictifs. Une situation plus définitive se situera donc entre ces chiffres de 4,7 et 19,4 pour le passif, et les 1,5 en caisse augmentés du produit des 15 de procès pendants pour l’actif (dont le trustee ne recouvrera qu’une fraction impossible à déterminer à ce stade). Il y aura donc un dividende qui ne sera pas négligeable. Certains clients contestent l’approche du trustee de n’admettre les productions que sur la base du « net in » et voudraient qu’ils les admette sur la base des relevés précédant la faillite, c’est-à-dire incluant les profits fictifs. La grille de répartition serait alors complètement différente et infiniment plus diluée, et le problème des clawbacks presque complètement éliminé. Un premier procès sur ce point de principe se tiendra en février à New-York.
Quant aux clients américains, pour l’instant leur dividende principal provient… des retours fiscaux. Une première réflexion avait été que le fisc américain était finalement le principal receleur de la fraude de Madoff, puisque les profits fictifs étaient taxés au fur et à mesure de leur réalisation – fictive. Le fisc avait donc profité dans une très large mesure du produit de la fraude au préjudice des investisseurs. Le résultat était choquant : non seulement les clients avaient perdu leur investissement, se voyaient recherchés en clawback pour leurs retraits, mais avaient payé au fisc leurs impôts sur les profits en réalité fictifs. Le fisc américain a remédié à cette situation en permettant de plus amples déductions des pertes, de les reporter plus longtemps – voire dans certains cas en accordant des remboursements. Pour certains clients, cela pourra aller jusqu’à représenter un « dividende » de 40% du « net in ». Etrange – mais sûrement juste et bienvenu. Peut-être est-ce aussi là une sorte de compensation de ce que la SEC, fautive mais protégée par son immunité, ne peut être recherchée en responsabilité par les lésés au titre de sa négligence, qu’elle a admise publiquement, dans la surveillance de BMIS.
Quant à la Suisse, c’est-à-dire les clients des banques suisses ayant dans la quasi-totalité investi au travers de feeder funds, les situations se résolvent – ou ne se résolvent pas – de manières très diverses. Le principal problème, et qui est complexe, est celui du clawback auxquels les fonds sont confrontés, mais dont leurs propres porteurs de parts ont profité de leurs rédemptions et qu’il est difficile de rechercher en cascade. De manière très résumée, il y a globalement trois catégories d’actions judiciaires en cours : 1) les procès contre les dépositaires des fonds – ayant failli dans le contrôle de la matérialité des titres que Madoff prétendait traiter, 2) les procès contre les banques et gérants ayant placé des fonds Madoff auprès de leurs clients, pour une partie de ces banques et gérants des fonds Madoff « maison », et 3) les procédures pénales contre des gérants et gérants de fonds pour avoir surpondéré les investissements dans des fonds Madoff et/ou pour s’être vendus (et rémunérés) comme les gérants de fonds en réalité gérés par Madoff. Autant dire pas mal de grain à moudre pour la justice et ce qui sera, in fine, et c’est normal, même si cela prendra du temps, au bénéfice des lésés.