Knew or should have known. L’essentiel des actions en restitution de fees et en responsabilité du trustee sont basées sur ce fondement : les opérateurs professionnels défendeurs knew or should have known. En ignorant les red flags et/ou en n’exerçant pas la diligence qui était exigible d’eux, notamment parce qu’ils étaient rémunérés, ils ont permis à Madoff de perpétrer cette fraude. S’ils ne sont évidemment pas les auteurs primaires et ignoraient la fraude elle-même, ces opérateurs ont néanmoins une responsabilité secondaire propre pour leurs propres manquements. Certains sont étonnés ou révoltés de cette mise en cause alors qu’ils se considèrent également victimes. Ils le sont d’une manière – mais sans que cela n’efface qu’ils ont manqué à des responsabilités qui leur étaient propres. Le fait de rémunérations ou de profits importantes (907 millions pour J.P. Morgan Chase par exemple) a certainement été causal dans leur absence de curiosité, de diligence, dans leur négligence. Parmi ces red flags non seulement des rapports d’audit interne ou externe ayant identifié nommément un risque de fraude, mais aussi l’incompréhensibilité et les niveaux implausibles des rendements dans les conditions de marché, le window dressing des comptes, l’absence de vérifications des trades, la complaisance face au réviseur manifestement inadéquat de Madoff, etc. L’excuse de ce que Madoff était un broker régulé et d’en avoir aussi été la victime ne pèse donc pas lourd face à des manquements objectifs concrets ayant causalement permis la fraude. Aussi vain comme argument que le co-pilote qui n’accomplirait pas sa check-list et ne suivrait pas l’ILS au motif que l’avion marchait bien, qu’il avait confiance dans le pilote et que la compagnie était agréée par l’IATA. Knew or should have known – right and powerful it seems.
Pourquoi le trustee réclame-t-il alors plus dans l’ensemble des procès intentés que le net in – se montant à 20 milliards, dans la mesure également où il refuse précisément de prendre en compte un dommage supérieur qui comporterait les montants des relevés car constituant des profits fictifs ? Il a en effet pour 100 milliards de procès pendants contre mille défendeurs et a déclaré viser recouvrer 50 milliards. En droit, la solidarité entre responsables d’un dommage ne permet pas de recouvrer plus que celui-ci. Cela tient donc à la définition du dommage. Le premier élément de ce dommage est ce fameux net in, ce que les victimes ont perdu en termes de leur apport ou de la différence entre leurs apports et leurs retraits. Si le trustee conteste, à juste titre, que les victimes fassent valoir comme dommage le montant de leurs relevés constituant des gains fictifs, le dommage ne se limite toutefois pas au net in. Si et lorsque le net in aura par hypothèse été entièrement indemnisé, les victimes pourront faire valoir comme dommage supplémentaire les intérêts sur les sommes confiées à Madoff et le cas échéant leur gain manqué par rapport à de réels investissements qu’elles auraient pu faire à la place. Un éventuel surplus que le trustee obtiendrait ainsi par solidarité entre les parties assumant une responsabilité ira également à couvrir les frais de la liquidation, qui seront importants (cf. post précédent).
Madoff a parlé du fond de sa cellule – a été interviewé pour la première fois. Aucune révélation fracassante. Il prétend avoir largement aidé le trustee, ce que ce dernier dément. Il a affirmé, mais sans l’expliciter, donc sans une immense valeur, que « les banques » savaient ou ne pouvaient pas ne pas savoir. Sous-entendu ce que je faisais n’avait pas de sens et des professionnels devaient ou auraient dû le discerner. Les banques hurlent qu’il a tant menti qu’il n’y a certainement pas lieu de lui donner crédit sur une telle affirmation sans substance et, surtout, visant le mobile évident d’aider à les voir être condamnées à rembourser ses victimes. Qu’il soit étonné de leur incroyable absence de diligence et curiosité fait pourtant sens. Moins policé toutefois, il aurait dit à un co-détenu braqueur de banque Fuck my victims, I carried them for 20 years and now I’m doing 150 years. Ce serait-là le trait sociopathe assez typique de ce type d’escroc.