
Madoff : Où cette affaire en est-elle ? – point de situation (Part I)
Actualité chargée dans « Madoff » – et donc le temps de refaire un point, en deux fois et un peu longuement (prochain post : knew and should have known et pourquoi et comment le trustee arrivera-t-il à récupérer et distribuer plus que le net in). Travail du trustee Picard et consolidation remarquables ainsi dans une affaire éclatée entre les Etats-Unis, l’Europe et de nombreuses juridictions off-shore. La situation évolue favorablement mais plus précisément :
– Premier élément significatif : aux Etats-Unis, le marché secondaire des créances sur Madoff (celles de ses clients directs, par opposition à celles des fonds feeder) est passé à 70% de la face value. C’est un bon révélateur du niveau actuel des attentes en matière d’indemnisation par le trustee. Même si la route est encore longue. Ce niveau tient compte de cette time value.
– Sur le déroulement de la liquidation, la Cour d’appel du 2ème Circuit tranchera sur le mode de détermination des montants pris en compte pour l’indemnisation des victimes. En première instance, suivant la position du trustee, la justice américaine a admis de reconnaître le net in – et non le montant des relevés que Madoff adressait à ses clients. Les juges d’appel semblent avoir manifesté leur scepticisme également sur cette position des appelants. Pour ces derniers, toute cette industrie dépend de la foi qui peut et doit être accordée aux relevés de son broker, sur la matérialité desquels le client n’a aucun pouvoir de vérification et qui exerce une activité régulée. Pour Picard au contraire, ce serait valider l’acte du broker félon allouant arbitrairement aux uns l’argent des autres sans réalité de gains et de pertes sur les marchés. Cela aurait aussi l’effet pervers et absurde d’indemniser certains pour une part de profit fictif, au préjudice d’une part de l’indemnisation de la perte réelle des autres étant des net losers.
– Au plan de l’actif qui permettra d’indemniser les victimes, le trustee a en l’état récupéré 10 milliards de $ – sur les 20 de net in perdus. La première distribution qu’il a annoncée prochainement ne portera toutefois que sur 2,6 milliards. L’accord avec la succession Picower, qui ramènera 7,2 aux victimes (5 à la masse et 2,2 via les autorités), est en effet frappé d’appel par certaines victimes qui contestent la décharge donnée à la succession et qui les empêcherait d’introduire individuellement de nouvelles actions en responsabilité et dommages-intérêts contre celle-ci. Le délai causé par cet appel pourrait être d’une année.
– Au plan du passif, soit des créances admises, le trustee a en l’état admis 2’400 créances pour 7 milliards. Il en a examiné 16’500 soit le 98,5% des productions. 10’700 ont été rejetées car n’émanant pas de clients directs. 2’700 ont été rejetées car émanant de net winners, soit ayant retiré plus qu’ils avaient investi. Il a en suspens 265 créances totalisant 11 milliards qui sont essentiellement celles de fonds feeder européens avec lesquels il n’a pas encore réglé la question du clawback, voire de dommages-intérêts pour avoir contribué à permettre la fraude. Comme les procès en clawback sont introduits à New-York contre ces fonds, ils iront leur voie ou, plus probablement, mèneront à des accords transactionnels.
– La banque de Madoff, J.P. Morgan Chase, poursuivie pour 6,4 milliards de fees et dommages-intérêts, a contesté la compétence de la Cour des faillites. Elle soutient que l’action intentée par le trustee va bien au-delà de prétentions de droit de la faillite et revient en fait à une immense securities class action et action en responsabilité. J.P. Morgan Chase et plusieurs banques ayant dû révéler des documents internes dans le cadre des procédures intentées par le trustee et de leur discovery se battent également pour la confidentialité de ces informations. Elles soutiennent protéger des faits, procédures et secrets d’affaires internes. Elles visent probablement davantage à se serrer les coudes et à éviter une vision consolidée et analogique de leurs manquements et de leur ignorance de leurs nombreux red flags. Quant à UBS, poursuivie pour 2,6 milliards, elle a demandé pour leur protection personnelle que l’identité de ses employés ayant traité les affaires Madoff en interne, et qui apparaît dans les e-mails et autres, qui ne sont pas des cadres connus, soit maintenue confidentielle.
– Combien coûte et coûtera cette liquidation ? Le tarif du trustee est de 742,50 $ de l’heure et ses honoraires se sont déjà montés à 3,3 millions à fin 2010, soit en deux ans. Il est escompté qu’il aura déployé des diligences pour 16 millions d’ici 2014. Cela dit il travaille naturellement avec une très importante équipe d’avocats – il y a mille procédures en cours pour près de 100 milliards ! Le coût total final de cette liquidation par son trustee et ses avocats est ainsi estimé à 1,4 milliard. C’est colossal et confortera ceux qui grognent (très faussement !) que cette affaire n’aura finalement enrichi que les avocats. C’est pourtant en rapport avec l’ampleur de la fraude et de son impact.