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Madoff : Les malheureuses mais juridiquement bonnes raisons pour lesquelles la SEC n’est pas actionnable en responsabilité par les victimes de la fraude

Dans le cadre de la fraude Madoff, de nombreuses et vives récriminations ont été élevées contre la SEC, l’autorité de surveillance dont dépendait BMIS – et laquelle n’a rien vu ni rien prévenu. Les victimes ont été choquées d’avoir été abusées par un acteur régulé et aux relevés de compte duquel elles estimaient pour cette raison être en droit de faire confiance. Certains des gérants professionnels ayant « alimenté » BMIS reprennent pour leur part ce même argument bien commode qu’ils n’avaient à présager la malhonnêteté d’un acteur dûment soumis à la surveillance de la SEC. Il fut donc fort mal compris pourquoi la SEC ne pouvait être tenue co-responsable du dommage compte-tenu de l’accablant rapport Markopolos de 2005 très vite révélé (disponible sur ce blog du 27 mai 2009 [1]) mais surtout des conclusions transparentes et accablantes pour elle de sa propre enquête interne ordonnée sur ses dysfonctionnements ayant entraîné son incapacité à prévenir ou découvrir cette fraude (Executive Summary [2] et version complète de 477 pages [3]). La réponse vient de tomber sous la forme d’un jugement de première instance de la United States District Court de New-York du 19 avril 2011 (09 Civ. 8697) : la SEC n’est pas actionnable pour ce dommage quelle que soit la réalité de ses fautes.

Dans ce jugement, la Cour accepte la motion to dismiss contre l’action de deux lésés fondée sur l’acte illicite et la négligence grave de l’agence. Reprenant entre autres le rapport d’enquête, la Cour détaille et admet sans ambages les faits de négligence imputables à la SEC – sous un éclairage judiciaire et à vrai dire difficilement contestables matériellement. Le point est toutefois essentiellement de droit à savoir l’immunité dont jouit la SEC en l’espèce et qui exclut alors la compétence judiciaire pour la condamner à réparation. La décision repose sur des principes complexes. Tout d’abord, l »immunité judiciaire du gouvernement (auquel appartient institutionnellement la SEC) sert trois principes : la séparation des pouvoirs, la protection des décisions en opportunité et la protection des deniers publics. Point de fond de la question, la SEC est protégée lorsque ses actes défectueux ou fautifs étaient discrétionnaires et donc non obligatoires. La Cour relève qu’aussi scandaleux et choquants aient été les manquements de la SEC, défiant tout sens commun, les demandeurs n’identifient pas pour autant dans la loi une obligation spécifique d’agir que la SEC aurait alors violée. La Cour évacue également une négligence générale sujette à responsabilité pour des actes situés hors d’une obligation spécifique – comme susceptible de faire échec à l’immunité dont elle jouit.

Le terrain est donc délibérément celui de la policy et de la protection des actes commis dans son cadre par essence discrétionnaire et par opposition à un devoir légal ou juridique précis. Or la loi gouvernant la SEC situe précisément les actes qu’elle a mal exécutés dans son pouvoir discrétionnaire. La jurisprudence a ainsi de manière constante exclu une responsabilité de la SEC dans le cadre de son pouvoir d’enquête et d’application de la loi. Lorsqu’une activité constitue de la policy et que l’agent gouvernemental exerce une latitude discrétionnaire, il doit être protégé dans son exercice et dans ses choix y compris pour ses mauvaises décisions. Ce jugement présente un caractère choquant en équité dans l’économie générale de l’affaire Madoff. Son fondement bien compris se conçoit et fait toutefois sens.