
Madoff, guilty of eleven counts, les constantes en la matière et quelques aspects de la suite
Madoff a donc plaidé coupable aujourd’hui à New-York. Voir l’acte d’accusation et le communiqué de presse des autorités le résumant. Cela évitera à la défense comme à l’accusation un procès public inutile, long et lourd à mener. Dès aujourd’hui Madoff est un convicted felon et passera directement à la phase de sentencing, c’est-à-dire la détermination de sa peine par un juge. Cela fait donc trois mois depuis la découverte de la fraude, et le sentencing est fixé au mois de juin. Tout ne va pas toujours aussi vite que cela aux Etats-Unis – mais nulle part ailleurs cela pourrait-il aller aussi vite. Madoff est en l’état placé en détention préventive vu le risque de fuite. Il sera une fois condamné détenu dans une prison du moindre degré de sécurité, vu la nature financière de ses crimes et qu’il est un délinquant « primaire » soit au casier précédemment vierge. Ces prisons sont les moins brutales de l’appareil pénitentiaire, mais ce sont de véritables prisons et non des country-clubs pour cols blancs comme parfois dépeintes. Madoff n’a pas passé d’accord avec l’accusation (plea bargain) qui puisse mener à une réduction de peine. Il n’a que peu collaboré à l’enquête, protégeant peut-être par-là ceux dont il sait qu’ils savaient. L’acte d’accusation auquel Madoff a plaidé coupable ne comporte pas de réelles surprises ni révélations sur la fraude elle-même. Il résume en revanche un certain nombre de faits qui sont malheureusement souvent ignorés mais qui sont des constantes dans ce type de fraude. A Genève, la Tribune a révélé ce matin que la justice (pénale) s’y emparait également de « l’affaire Madoff ». La formule est un peu enflée car elle s’empare en réalité d’un sous-produit, d’un sous-problème d’amont, celui de l’accusation de gestion déloyale envers un gérant pour avoir investi une part excessive des avoirs confiés auprès de Madoff, le cas échéant sans connaissance de la part du client. L’éventuel intérêt propre du gérant à cela, sous forme de commissions ou rétrocessions, a fortiori si à l’insu du client, peut jouer un rôle à cet égard.
Au plan des charges retenues contre Madoff, trois groupes distincts et habituels également : les appropriations, soit les « frauds » elles-mêmes et le vol (technique) d’avoirs de fonds de pensions, le blanchiment de leur produit, et les faux et mensonges, faux états financiers, fausses déclarations par la production des faux états financiers et le perjury qui est une forme de faux témoignage/fausse déclaration devant une autorité. Quant aux faits et au modus operandi, l’accusation expose plusieurs ingrédients absolument constants dans ce type de délits financiers quelle que soit leur taille : i) la promesse et la présentation fausse de revenus supérieurs aux taux d’intérêts, associés à un risque faible, ii) une stratégie alléguée opaque et le refus de l’expliquer, iii) la promesse de tarifs inférieurs à ceux du marché sur certaines prestations, ici les courtages, iv) une infrastructure donnant l’apparence d’une activité réelle et légitime, v) la concentration du pouvoir décisionnel en une seule ou en un nombre très limité de personnes, vi) l’emploi de personnel exécutant non-qualifié incapable de déceler les irrégularités et inconsistances, et chargé d’actes participant de l’activité illicite, vii) l’absence de contrôle interne, et viii) le recours à un organe de contrôle inadapté et insolite. Ces éléments sont le terrain nécessaire pour, ensuite, l’appropriation des fonds, l’émission de faux relevés et faux avis de transactions, des transferts sans cause véritable via une filiale afin de masquer l’appropriation des fonds, la confection de faux états financiers, etc.
Le charisme apparent ou réel de Madoff, sa gestion de la cohérence de l’apparence de l’ensemble, son intransigeance face aux demandes d’explications, et l’attrait qu’il suscitait en jouant sur le caractère fermé et exclusif de sa gestion, ont certes été exceptionnels – mais ont précisément pris pied sur les constantes précitées. Ce qui est moins habituel, mais que les accusations contre Madoff ne traitent pas puisque situées en amont, ce sont les schémas insolites ou irréguliers et les fautes et défaillances intervenus au niveau des feeder funds qui alimentaient le Ponzi scheme. Cela a concouru au fil du temps au remboursement de ceux qui retiraient avec l’argent des nouveaux arrivants. Avec la déperdition énorme, évidemment, des profits fictifs servis à ceux qui sortaient, et du coût de la « machine » Madoff, dont ses amples revenus personnels. Ces irrégularités au niveau des feeder funds et des gérants constituent des défaillances systémiques de cette industrie. Elles lui coûteront cher à titre induit, puisque nonobstant le fait que Madoff est tout de même le responsable premier de cette catastrophe. Ces enquêtes et ces procès dureront des mois et des années mais produiront des résultats. Restent les complices de Madoff – tant il apparaît presque inconcevable qu’il ait agi seul, orchestré seul les entrées et sorties de fonds de milliers de clients fondés sur une comptabilité fictive, et organisé seul les faux avis et relevés remis à sa clientèle. L’enquête pénale américaine n’a encore mis aucun autre protagoniste en accusation. Elle procède en fait bottom up en ce sens qu’elle les interroge et mène l’enquête en partant des plus subalternes pour remonter vers le haut. Cette méthode est souvent utilisée et efficace dans des délits financiers pour faire « sortir » la mise en cause des décideurs par les exécutants. Il est intéressant de noter qu’elle n’est presque jamais pratiquée en Europe.