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L’Ordre des Avocats vendu au Grand Capital

Définitivement cela ne passe pas – l’Ordre des Avocats de Genève « sponsorisé » par une grande banque privée. Sponsorisé. Comme un club de foot, un concours hippique ou un orchestre. Sémantiquement, c’est un parrainage, un partenariat. C’est chic. C’est une bonne « maison ». Trivialement c’est pour le pognon. L’exposition et un accès au fichier et à la communication de l’Ordre pour la banque. Le bon coup de s’afficher avec une profession forte et nombreuse, de se la cannibaliser. Et l’argent, simplement, pour l’Ordre. Et le Jeune Barreau de roucouler de joie de même, ventre à plat devant les puissants, dans sa feuille de chou. « Nous sommes indépendants, vous aussi et nous sommes faits pour nous entendre » dit la publicité de cette banque en quatrième de couverture. Tout ça c’est pour financer une « Maison des avocats », lieu de travail, de rencontre et de bonding à quelques pas du Palais de justice. C’est un bon projet mais là n’est pas la question ni celle, interne à l’Ordre, de la manière dont une association finance ses projets. Et jour après jour cet étiquetage jusque sur la page de garde du site de l’Ordre choque et nuit gravement. L’Ordre des Avocats ne peut pas être sponsorisé par une entreprise commerciale et cet acoquinement est préjudiciable. 

Les banques sont aujourd’hui engagées dans des évolutions juridiques politiquement marquées (Rubik, Fatca, évolution des règles du Gafi, fiscalité de l’épargne, etc.). Certaines sont valeureuses et respectables mais d’autres ont fait pis que pendre, précipité la chute du secret bancaire, se sont enrichies pendant que leurs clients perdaient, les ont plombés de Lehman et autres. Et de notables et mécènes certains sont devenus receleurs voire fugitifs. Quelle image cela donne-t-il donc de notre Ordre dans la cité, à nos clients, aux clients des banques, ou aux adversaires de celles-ci en procédure ? Celle d’un apparentement organique entre les avocats et un commerce, entre les avocats et les puissants, ce qui est bien ce que recherche cette banque à des fins commerciales. Soit bien celle d’une prévarication. Cette seule image suffit pour que la perception, dans l’esprit du public, soit que les avocats sont vendus aux banques. S’il n’y a qu’une seule personne à Genève qui pense cela en arrivant par exemple sur le site de l’Ordre, alors cette potentialité, comme en matière de récusation, suffit, et le mal est fait. Peu importe que les avocats demeurent naturellement libre d’attaquer des banques. A l’heure où de nombreux justiciables, au-delà du « tous pourris » excessif, pensent sans avoir toujours tout tort que le petit ne gagne jamais contre le gros, cette image est désastreuse.

Nombre des avocats membres de l’Ordre et de leurs clients n’ont pas une sensibilité politique proche des intérêts de la place financière – aussi importante soit-elle pour notre économie y compris le fonds de commerce des avocats. Nombre de nos clients sont des petits ou des faibles dans la société. Et quid d’un litige règlementaire entre avocats dans une affaire comportant cette banque comme partie ? Faudra-t-il le faire trancher par le Bâtonnier d’un autre canton ? L’avocat a comme condition même de l’exercice de sa profession un devoir d’indépendance. Celle-ci est fondamentale et c’est sa marque de fabrique – envers et contre tout, et face à la concurrence des autres prestataires de services juridiques. L’Ordre des Avocats en tant qu’association professionnelle peut et doit avoir de bons contacts avec les banques mais au-delà avec toute la palette d’acteurs socio-professionnels de la cité. Soit aussi avec les syndicats, les ONG, les contestataires. Il est inutile, malhabile et préjudiciable de nous marier dans le cadre d’un vulgaire sponsoring quel que soit son montant (et alors que les membres paient des cotisations élevées et que l’Ordre possède suffisamment de recettes et de fortune pour remplir ses missions statutaires). C’était définitivement une fausse bonne idée. A reconsidérer. Vite et drastiquement.