L’horripilante et déplacée formule « …il apparaît que les parties ont eu suffisamment l’occasion de s’exprimer. » – et de l’art du copier-coller judiciaire dans la haine de la réplique

Posté le 18 mars, 2014 dans justice

Chambre 3

TF

Cette formule selon laquelle la juridiction d’appel s’estime « suffisamment renseignée » lorsqu’elle transmet une réponse ou des observations est horripilante, illégitime et sans portée juridique. Elle n’est pas prévue par les lois de procédure. Ensuite, qui s’estime suffisamment renseigné ? Le juge rapporteur ? Un greffier ? Comme c’est une formule standard dans le traitement de texte, il n’y a aucune assurance qu’il y ait eu une réelle évaluation de ce point par le ou les magistrats en charge – et qui a la compétence d’exprimer un « sentiment » qui n’est pas prévu par la loi ? Mais surtout, comment une autorité peut-elle s’estimer suffisamment renseignée – dans l’ignorance de ce que la réponse contient qui soit susceptible d’entraîner un exercice matériel légitime du droit à la réplique ? Le raisonnement est ici intellectuellement déficient : une autorité ne peut par définition s’estimer seule suffisamment renseignée avant, précisément, l’éventuelle réplique. Et exercer le droit à la réplique est de la seule appréciation de la partie et sert, précisément, à cela. Que traduit donc cette formule creuse et in fine judiciairement dolosive – qu’ici la Chambre pénale de recours de Genève (premier extrait) a estimé opportun de simplement recopier d’une lettre-type similaire du Tribunal fédéral (deuxième extrait) ?

Elle traduit une défiance envers le droit à la réplique, une invitation à ne pas l’exercer, et donc un biais, une pression. Ce n’est pas acceptable. Qu’ont donc les autorités suisses avec le droit à la réplique ? Cette résistance est stupéfiante (cf. ce blog). Il a fallu pas loin de dix arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme pour que la pratique le prenne enfin véritablement en compte, en traînant les pieds et en utilisant par exemple encore au TF des formules « Zur Kenntnisnahme » laissant à la partie seule d’exercer ce droit sans y avoir été réellement invitée et dans un certain flou (cf. arrêt 2C_560/2012 c. 4.4). Ce dont la Cour dira un jour à nouveau que c’est une formule défectueuse. Au reste, laisser ici cinq jours de délai « non prolongeable » – alors que la loi ne prévoit pas cela – pour prendre connaissance de plus de cent pages d’observations, les communiquer à son client, recueillir ses observations puis les formuler en réplique, est également une violation du droit (cf. arrêt même 2C_560/2012 c. 4.5 et ATF 137 I 95 cité). C’est à nouveau l’expression d’une volonté claire de limiter, d’empêcher matériellement le droit à la réplique – qui n’est dès lors pas concret au sens exigé par les article 6 CEDH et 29 Cst. féd.

En l’occurrence il y avait un week-end dans les cinq jours non prolongeables. Trois jours ouvrables représentent un délai d’autant plus inadmissible que la Chambre tranchera elle dans un délai qui se compte plus souvent en mois qu’en semaines. Est dès lors également inadmissible, par hypothèse, l’argument qu’il faut viser un traitement rapide du recours dans l’intérêt, par hypothèse, du justiciable. L’intérêt du justiciable est que son droit à la réplique soit respecté, que la justice cesse cette défiance pré-imprimée et standardisée contre le justiciable – et son avocat qu’elle vise implicitement. Et qu’elle tranche dans un délai raisonnable. Cette formule doit être purement et simplement supprimée des avis de transmission de réponses ou d’observations.

 

 

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