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L’étonnante difficulté des managers à transiger les litiges de leur entreprise – et quand les actionnaires et les réviseurs s’en mêlent

Un litige commercial est fait de nombreuses composantes variées : des erreurs d’appréciation, des évolutions des circonstances, des violations du droit, des mécompréhensions ou tromperies, etc. Il est toutefois pollué par trois autres aspects : la susceptibilité des personnes impliquées, les questions de principe et l’intégration de devoir se départir de l’attente initiale et de ses facteurs économiques. Etrange constat souvent de l’avocat : les managers ont de la difficulté voire une incapacité à envisager et à accepter une transaction, y faisant dès lors obstacle. Plusieurs raisons à cela. Un manager ne veut tout d’abord pas être celui qui prend la décision d’accepter de se départir de l’attente économique initiale du contrat. Il ne veut pas en prendre la responsabilité, envers le conseil d’administration, envers les actionnaires, envers l’entreprise. Il ne veut pas être celui qui a transigé à x ce qui valait y, qui a abandonné z là où il y avait des chances que le juge accorde y – même s’il n’y avait que w% de chances. S’il peut diluer cette responsabilité en interne, il le fera donc. Il se reportera sur le service juridique – mais lequel donnera une opinion, ne prendra pas davantage la responsabilité de transiger, et renverra la balle de la décision à la direction. Manager et direction juridique en arriveront donc à une situation dans laquelle chacun démissionnera de sa responsabilité de déterminer le moyen terme auquel une transaction est dans l’intérêt de l’entreprise malgré la concession de z. Il est tellement plus commode de s’en remettre au juge qui a la mission divine et extérieure d’en décider. Et dont c’est effectivement la mission institutionnelle. Un seul problème : cela peut coûter, et coûte souvent plus cher que la transaction bien sentie – mais si c’est le juge qui a dit, ce n’est pas le manager ni le directeur juridique qui sont alors « responsables » de cet écart avec les attentes économiques initiales du contrat.

Résultat : dans un litige commercial, les deux entreprises campent généralement sur leurs positions sans transaction possible, sur un terme extrême ou à peine mitigé, et sans avoir donc intégré l’une et l’autre le bout de chemin économique qu’il serait dans leur intérêt de faire. Positions qui ne seront peut-être pas encore à bout touchant – mais ayant amorcé une convergence et n’étant donc plus tellement éloignées si chacune a correctement évalué son propre facteur de risque. Toute activité commerciale comporte des appréciations et prises de risques commerciaux. Les entreprises y sont rompues, les prennent, avec une réussite par définition variable. Mais les prennent. Elles sont paradoxalement surprenamment incapables d’apprécier de même un risque juridique et de lui apporter la même balance en termes de risques, de chances et d’intérêt. Pour parler plus clairement, les entreprises acceptent des risques d’invendus, de marge, de stock, en dizaines de pourcents – mais sont incapables de trancher sur un risque judiciaire en application d’une même logique d’intérêt. Elles capitalisent sur leur termes de chances – mais en perdant alors de vue leurs termes de risques. Puisque les managers démissionnent de trancher dans le vif, dans des conditions économiques qui sont souvent même avec une marge d’erreur préférables au procès, qui peut les aider à le faire ?

En droit suisse des sociétés, l’actionnaire n’a pas dans le cours ordinaire des choses la faculté de s’immiscer dans le management – et donc d’influer sur l’attitude que l’entreprise doit adopter dans ses contentieux. L’assemblée générale n’a pas même cette compétence hors des circonstances spéciales. Aux Etats-Unis, le pétrolier américain Chevron est empêtré dans des procédures en Equateur pour des dommages de $ 18 milliards causés par une pollution industrielle. Le litige n’en finit pas. Et les actionnaires institutionnels s’en mêlent [1]. Pour des fonds, fonds de pension et notamment des fonds du personnel d’Etat, puissants acteurs en bourse, ce litige est préjudiciable aux actionnaires et le management de Chevron est prié d’y mettre fin et critiqué pour son poor judgment dans sa gestion du contentieux. A suivre. Et les réviseurs ? La SEC estime [2] que les comptes des sociétés cotées doivent refléter plus fidèlement les provisions comptables sur les litiges en cours. La société a un devoir de sincérité dans l’appréciation de ses risques contentieux. Le management déteste pour sa part devoir passer des provisions pour un risque dont il ne se focalise que sur les chances. Pour une société cotée, ne pas publier sincèrement des éléments de risques financiers viole en outre la loi. Management et juristes rétorquent que de détailler un risque judiciaire et ses termes haut et bas dans des comptes publics pénalise l’entreprise dans le contentieux par le signal que cela donne à l’adversaire du risque qu’elle intègre du procès. Bonne réponse ? Pas pour nous.