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Lenteur et inefficacité de la justice : L’insatisfaction des justiciables et deux exemples à Genève et dans le canton de Vaud

Il faut se l’avouer sans se voiler la face, la quasi-totalité des justiciables sont mécontents de la lenteur de la justice, y compris ceux qui obtiennent gain de cause. Cette grogne se reporte souvent sur les avocats – qui lui sont assimilés. Pourtant, ce n’est pas de la faute des avocats, ni de la justice, si un justiciable se met ou se retrouve en situation de devoir recourir à eux. Mais c’est à la justice de leur apporter une réponse institutionnalisée, obligatoire pour éviter la justice propre et devenue une attente sociétale concrète. L’insatisfaction du justiciable tient à plusieurs raisons. La représentation fausse et idéaliste qu’il se fait de la justice, omnisciente, juste, rapide, efficace, est l’une d’elles. Les défauts réels du système, dont il souffre, notamment sa lenteur excessive, en sont d’autres. Il faut se l’avouer de même, si la justice était une entreprise privée soumise à la loi du marché, elle ferait faillite. Sa structure organisationnelle est dépassée à de nombreux égards, et le délai de traitement des procédures n’est plus adapté au reste du fonctionnement de la vie civile et des attentes du citoyen. La justice ne peut pas être comparée à une entreprise en économie de marché, puisqu’elle n’est pas maîtresse de ses recettes ni soumise à la concurrence. La justice fonctionne et rend, avec une fiabilité convenable, un grand nombre de décisions par année, réglant les litiges et répondant par là à l’attente primaire des justiciables. Mais sa gestion du temps reste problématique en dépit de certaines améliorations. Les enquêtes [1] qui sont effectuées officiellement depuis plusieurs années, qui sont au crédit de la justice, sont un bon baromètre de l’insatisfaction du public à cet égard.

La justice demeure en retard sur l’économie privée à de nombreux titres dont certains sont essentiels dans la société civile du XXIème siècle. Les procès-verbaux d’auditions ont par exemple toujours à Genève une présentation épouvantable, sont imprécis et truffés de fautes de français, d’orthographe, sinon de sens. Leur faiblesse nuit directement à la qualité de l’instruction et donc de la justice. Aucune entreprise privée n’y survivrait. Certains délais de traitement du courrier ou d’actes ordinaires de procédure restent également excessifs, et aucune entreprise privée n’y survivrait non plus en situation de concurrence. Devoir attendre au minimum dix-huit, vingt ou vingt-quatre mois, sinon plus en cas d’incident, pour une décision de première instance civile, n’est tout simplement plus acceptable en termes d’attente sociétale. C’est plus que la construction d’une maison ou d’un immeuble, que des projets industriels, que la construction d’un avion de ligne, ou que… faire un enfant ! Il y a peu d’actes de la vie civile qui prennent autant de temps et qui induisent une telle frustration chez le justiciable – alors qu’il ne s’agit trivialement que de régler un problème donné. En termes de réponse sociale, ou de considérations commerciales ou familiales, et à l’échelle d’une vie, la résolution d’un litige deux, trois ou quatre ans plus tard en cas d’appel, est gravement inadéquate. Cette considération n’a rien à voir avec le fait que la justice n’est pas un service commercial. Elle doit s’insérer dans l’ordre social et prendre en compte les attentes qu’il comporte. En tant qu’avocat pratiquant les tribunaux, il n’est pas agréable que les clients nous fassent remarquer à l’occasion de presque chaque affaire que les délais de traitements sont trop longs. A ceux qui en doutent, relativisent, ou prétendraient qu’il s’agirait de cas isolés ou non-représentatifs des progrès accomplis, je tiens une longue liste d’exemples à disposition…

Le dire et le dénoncer est nécessaire. Le justiciable a le droit de le faire car il n’a pas les clés du problème. C’est à l’Etat et à l’appareil judiciaire, et eux-seuls, d’y remédier. Certains délais seront incompressibles, mais des améliorations sont possibles à de nombreux égards, sans tomber dans l’excuse inverse habituelle mais fausse du risque d’une justice expéditive, bâclée ou mécanisée. Certains progrès nécessitent des réformes de fond et donc des moyens – ce qui est un problème politique. D’autres peuvent intervenir en l’état au plan de la méthode et de la gestion du temps. Il est frappant que des procédures durent des années alors que, additionnés, les temps de traitement de chacune de leurs étapes ne représentent que quelques dizaines d’heures. A Genève par exemple, la gestion de l’instruction des causes civiles ne va pas. Il suffit qu’il y ait plusieurs témoins, qu’un ou plusieurs se fassent excuser pour des raisons presque toujours de pure convenance, pour que les audiences soient repoussées à chaque fois de plusieurs mois et davantage si le rôle est déjà chargé ou qu’il y a entre deux des féries. Il n’est pas rare que pour un total cumulé de quelques heures d’audience au maximum, six mois, huit mois ou douze mois soient perdus à ce titre. Comme la masse de travail est la même, un ordonnancement différent améliorerait sensiblement les délais de traitement, par exemple la fixation de toutes les audiences d’enquêtes d’une même affaire au cours du même mois ou sur une période beaucoup plus ramassée qu’actuellement. Accommoder les convenances des témoins est courtois – mais nuit à la justice, à laquelle leur concours n’est pas une faveur mais est obligatoire. Il devrait y avoir une beaucoup plus grande fermeté à cet égard. Les délais de reddition des jugements une fois les causes plaidées sont devenus un peu meilleurs mais restent aussi excessifs. Un délai de cinq, sept, neuf, dix ou douze mois pour rendre un jugement est inacceptable aujourd’hui. Un tel délai est sans aucune relation avec la difficulté d’une cause ni avec les mêmes dix, quinze ou vingt heures de travail effectif qu’il faut au magistrat et au greffe pour fournir leur prestation.

Les avocats sont aussi soumis à une charge de travail importante et à des délais de traitement de leurs dossiers. La conception d’une action judiciaire, la rédaction des écritures, prennent du temps. Il est paradoxal que les avocats soient soumis à certains délais légaux de dix ou trente jours dans certaines matières, et les respectent, et que les décisions de justice qui en résultent prennent des mois, ou qu’ils puissent obtenir facilement des prolongations de plusieurs mois à d’autres stades. Je le dis s’agissant des avocats comme des tribunaux : avoir besoin de plusieurs mois pour rédiger un jugement ou des écritures n’est plus acceptable et est une question d’organisation et d’agenda. Dans le canton de Vaud, autre exemple, il est courtois et agréable que les avocats reçoivent des prolongations systématiques de leurs confrères et des tribunaux – mais c’est un scandale en termes de célérité de la justice civile et la dessert gravement. Il y a une incompréhension totale de la clientèle à ces délais dont il résulte en fin de compte qu’il faut souvent plus d’une année pour échanger quatre mémoires et demi dont le temps de rédaction cumulé n’est également que de quelques heures ou dizaines d’heures. A la vérité, l’avocat n’est pas moins surchargé lorsqu’il doit finalement rédiger le mémoire à l’issue de la troisième prolongation d’un mois que s’il avait dû le faire dans un délai de dix ou trente jours, ce qu’il arrive parfaitement à faire lorsqu’il est péremptoire. Les avocats ne doivent pas se reposer sur ces usages qui les accommodent peut-être au quotidien, mais qui sont précisément l’une des raisons de la mauvaise perception que le justiciable a d’eux et de la justice. Il peut sembler désagréable qu’un avocat dénonce cela mais les avocats ne peuvent pas s’extraire d’une réflexion globale sur la manière dont la justice doit évoluer et qui comprend une amélioration concrète de tous les délais de traitement. Je constate au contraire une meilleure satisfaction de ma clientèle lorsque je suis en mesure d’imprimer un rythme plus marqué à la procédure, et en fournissant moi-même en premier lieu, dans un marché concurrentiel, mes prestations dans des délais convenables.