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Le tournant spectaculaire de l’affaire Madoff – et vers un dividende inédit de 100% ?

Un peu provocateur ce titre – mais pas tant que ça. Avalanche de nouvelles dans la presse ces jours-ci – des dizaines d’articles par jour – du fait de toutes les procédures que vient d’intenter le trustee de la faillite de BMIS aux derniers jours de son délai de deux ans pour le faire. Un travail colossal qui a dû durer des mois et s’est concrétisé par le dépôt d’actions en justice spectaculaires. Or ce qui est en train de se passer est tout à fait extraordinaire et somme toute inattendu. Un premier aspect est que le trustee Picard est en passe de consolider l’indemnisation de toutes les victimes, directes et indirectes, dans la procédure américaine. Cela contre toute attente, et contre le pronostic initial, et une première réalité, qu’il y aurait un enchevêtrement inextricable de procédures dans de nombreuses juridictions, et que tout cela ne mènerait à rien. Contre le pronostic également que la faillite américaine n’arriverait à rien, et ne règlerait notamment rien hors des Etats-Unis – où tout le monde se garderait bien d’aller se présenter. Un second aspect est qu’il tendra désormais vraisemblablement, par le jeu non seulement des clawbacks mais des actions en responsabilité et des damages qu’il réclame sur cette base, vers un dividende inédit compte tenu de la nature et de l’ampleur de cette fraude. Et pourquoi pas aux alentours de 100% du net in. Le dividende pourrait en effet être très élevé. Le trustee actionne en effet maintenant les acteurs institutionnels qui ont permis cette fraude en violant leurs obligations. Par le jeu des damages et des restitutions de leurs rémunérations, il réclame aujourd’hui, par ces procès contre plusieurs dizaines de nouveaux défendeurs, pour une très large partie solvables, davantage que le net in de $ 20 milliards. Quelques explications.

Certes Madoff est et reste l’auteur primaire de cette catastrophe. Elle n’aurait cependant pas eu lieu, ou il y aurait été mis fin bien avant et à moindre dommage pour les victimes, sans tous ces institutionnels y ayant concouru. Il y avait, avant les ouvertures d’actions de ces derniers jours, pour $ 15,5 milliards de procès déjà pendants. Il y en a aujourd’hui pour près de $ 33 milliards. Il faut ici bien distinguer. Il y a des centaines de procès en clawback, qui est l’obligation stricte de restituer ce qui a été retiré dans les trois mois, éventuellement jusqu’à six ans. Ces procès visent essentiellement les net winners – puisqu’ils ont bénéficié de l’argent volé aux autres. Mais il y a aussi plusieurs dizaines de procès, dont ceux engagés ces derniers jours contre des banques, qui sont d’une nature différente. Soit des procès en responsabilité. Le trustee vise là leur responsabilité pour avoir permis cette fraude. Il leur réclame à ce titre à la fois la rémunération encaissée et des dommages intérêts. Ces banques sont visées pour avoir monté ou administré des fonds feeder, en avoir été les dépositaires, avoir monté des produits dérivés liés à ces fonds, ou, pour JP Morgan, avoir été la banque de BMIS. S’agissant de ces gros défendeurs bancaires solvables, essentiellement HSBC (8,9 milliards), UBS (2,5 milliards), JP Morgan (6,4 milliards – 1 milliard en fees et 5,4 en damages) et sept autres pour 1,4 milliards, mais la problématique est la même par exemple pour la succession de Picower, déjà attaquée pour $ 7,2 milliards, ils protestent pour l’instant que les prétentions du trustee sont fantaisistes, audacieuses ou simplement infondées. Leur défense est cependant essentiellement basée sur leur bonne foi, soit de n’avoir eu aucune conscience de la fraude et, partant, de n’avoir violé leurs obligations. Or cette défense ne fera pas long feu. Après deux ans d’enquêtes et de révélations en divers lieux, le trustee arrive à mettre en lumière, outre les manquements à des devoirs de diligence identifiés depuis longtemps, une connaissance, des doutes et des red flags nombreux, précis et ignorés, pour certains depuis 2001 déjà. La preuve de la bonne foi, ou d’une absence de négligence consciente, des défendeurs, s’avèrera donc quasiment impossible. In fine, ces défendeurs, s’ils ont le droit de contester et de se défendre, vont donc tous probablement settle dans un futur plus ou moins rapproché avec le trustee – comme Shapiro vient de le faire pour $ 625 millions. Je n’en vois aucun aller au risque du procès – compte-tenu également de la mécanique des damages du droit américain en cas de trial.

Comment alors le dédommagement des victimes, directes et indirectes, se fera-t-il dans la faillite de BMIS, de manière ainsi en quelque sorte centralisée et consolidée ? C’est essentiellement le cas des feeder funds qui intéresse les investisseurs européens, clients donc indirects de Madoff. Le point central est celui des clawbacks, c’est-à-dire la créance en restitution de l’argent retiré des fonds par des investisseurs étant des net winners. Les fonds ne recevront leur dividende qu’après imputation du clawback – mais clawback profitant à tous les créanciers admis, les net losers, et à juste titre. Le dividende sera donc élevé, bien plus qu’anticipé, mais pour les fonds fonction des clawbacks. Il sera d’un niveau suffisamment élevé pour que tous les fonds ou presque aient intérêt à traiter et transiger avec lui* – plutôt que par hypothèse ne pas produire, ne pas se défendre, ou se battre sur des jurisdictional grounds. Les seuls cas problématiques seront ceux des feeder funds qui n’auront pas produit, ou auront vu leur production écartée. Perdront aussi une partie de leur indemnisation les investisseurs net losers des fonds qui n’auront pas réussi à répercuter le clawback sur leurs propres investisseurs net winners – et que le trustee n’aura pas recherchés ou réussi à rechercher de son côté. Ce cas de figure est problématique, puisque les net winners de ces fonds conserveraient alors l’argent volé aux autres, leurs net losers. Les organes et administrations des fonds devront répercuter les clawbacks sur leurs propres net winners – sous peine d’être eux-mêmes alors recherchés en responsabilité. Si c’est le seul problème qui vient à demeurer, il ne sera pas insurmontable. Dernier point, quel sera l’impact de ce qui se passe dans la faillite de BMIS sur tous les autres procès en responsabilité et autres procédures ouverts ailleurs ? Il est difficile encore à apprécier – mais les défendeurs recherchés ne paieront pas deux fois. Once again, ce sera une question d’imputation, ce ne sera pas nécessairement simple – mais signifiant in fine qu’une indemnisation aura eu lieu, fait dès lors favorable. Ce que fait Picard est ainsi remarquable – et à continuer à suivre.

*Un exemple chiffré en lien avec l’annonce de l’UBP par exemple d’avoir settled avec le trustee. La banque règle $ 500 millions – sur une prétention initiale contre elle de 1 milliard. Cette somme est importante mais presque aucun média n’a relevé cependant que du même coup, sa production dans la faillite de BMIS est alors admise pour $ 756 millions. Comme elle a également réglé tout problème de clawback par l’accord intervenu, la banque touchera son dividende sur cette production de $ 756 millions. Elle n’aura donc in fine comme perte/responsabilité propre et véritable sur Madoff que le différentiel.