Cela fait toujours du bien de piquer un fou-rire bête – et l’un des derniers à la lecture de l’article sur le Swiss Finance Institute [1] dans L’Hebdo du 27 janvier 2011 [2]. Ainsi le SFI se félicite de ses publications, veut avoir son prix Nobel, mais surtout, sujet du jour, crée un MBA de gérant de fortune. Et de nous parler de manière docte de distribution gaussienne des revenus, de value at risk, et des thèmes post-crise fondamentaux de levier, de risque de liquidité et de risque systémique. Fort bien et dont acte. Mais que de blabla et de vanité. Et de dialectique et de fond assurés de manquer incorrigiblement la cible. Autrefois, le gérant suisse de base, fidèle et honnête, prenait (lui ou sa banque) grosso modo 1% pour un mandat de gestion discrétionnaire. Ce gérant de nos grand-papas, pour ce prix-là, composait un portefeuille en fonction du profil du client. Il visait une part de rendement par la part obligataire et monétaire, et une part d’accroissement par les actions. Simple, carré et straightforward. Il n’était pas un génie – mais livrait une prestation sensée. Et même le secret bancaire, prestation monnayable et monnayée, était incluse dans ce prix – concurrentiellement supérieur à ceux pratiqués ailleurs. Des taux d’un certain niveau assuraient la part de rendement, la rémunération de l’épargne, la récompensant. La croissance soutenait l’investissement. Chacun des trois piliers monétaire obligataire actions correspondait à des transferts d’actifs réels entre épargne et économie. Ce gérant-là a traversé quelques crises mais, en fin du compte, son seul véritable ennemi a été l’évolution des taux de change ayant irrémédiablement affecté certaines devises par rapport à d’autres. Et puis, soutenus par l’évolution de l’informatique et la puissance de calcul, se sont développés des modèles et une véritable industrie du jeu à somme nulle qui sont venus dévoyer le système. Explication.
Pour donner une valeur à l’épargne, il faut trois éléments. L’intérêt pour rémunérer le crédit, la croissance pour récompenser l’investissement, et le temps – seule valeur fondamentale absolue. Les mathématiques et les produits dérivés ont permis de créer des paris sur des mouvements, sur de la dynamique au sens physique du terme, à la baisse comme à la hausse. L’idée était de créer des outils de protection d’un sous-jacent. Le résultat est une véritable industrie du pari, déplaçant des avoirs, réels ou leveragés, isolément de l’économie. Ces produits sont aujourd’hui largement synthétiques, déconnectés, un jeu à somme nulle d’une activité purement dérivée sans apport réel à l’économie. Des taux très bas, une croissance nulle et de faibles amplitudes de marchés sont donc le cauchemar du gérant moderne. Bulles et emballements de certains marchés ont eu un second effet pervers : outre de ne pas correspondre à une croissance fondamentale, ils ont permis de faire supporter par l’investisseur des empilements de marges d’un empilement d’acteurs injustifiés économiquement. Et lorsque les conditions marchés n’ont pas de réel potentiel de profit, la profitabilité perdue en termes fondamentaux est artificiellement recréée au travers de produits composés sans apport réel à leurs sous-jacents. Pour sauter à un raccourci parlant, je m’étripais il y a quelque temps avec un ami financier sur le bonus 2009 de Brady Dougan et lui demandant de le justifier en termes de causalité – et au plan de la gouvernance et du non-fonctionnement en Suisse de la démocratie actionnariale. Le cri du coeur a été étonnant : le bonus de Brady Dougan ne le choquait pas tant que tel banquier privé partant à la retraite avec 500 millions « alors que ses clients n’avaient rien gagné en dix ans ».
Pour revenir au SFI et à ses (vrais) défis, en matière de gestion d’actifs, le service et sa machine ont un coût. Ce coût est légitime. Il doit pour autant être transparent et librement consenti. Il doit être soumis à concurrence. Mais il doit surtout être en ligne avec la performance réelle de l’économie – et conserver sa ligne d’échange avec elle. Chaque point de base que la machine perçoit la fait vivre – mais coûte au client et ce rapport est essentiel. Un second point en lien avec le premier est l’éthique. Pas un mot sur l’éthique, jamais. Comme un assènement qu’elle n’intervient pas dans la logique capitaliste et ses propres équilibres. Et apparemment non plus dans ce nouveau programme de MBA en gestion [3]. Pour l’avocat, qui n’est ni économiste ni gérant, la jurisprudence montre pourtant que l’éthique intervient dans la quasi-totalité des litiges financiers et de gestion d’actifs. Il y a dans toutes les affaires dans lesquelles un gérant (ou banque) est civilement condamné à dédommager un client une dimension éthique, morale, une situation de conflit d’intérêts. La répartition du profit ou le coût ramenés à la faute et au dommage, soit ce que chacun retire ou perd dans l’affaire, interviennent dans chaque cas également. Et similairement, lorsque le client perd, c’est parce qu’il doit se laisser opposer sa propre faute, sa propre connaissance ou sa propre acceptation de faits ou des conditions de l’affaire. Pour la Suisse, le changement de paradigme est total. La nouvelle donne fiscale affecte le secret bancaire. Cette évolution affecte le modèle économique. La crise de 2008 a nettoyé le secteur des placements collectifs et des produits structurés. La page est presque encore blanche. Le défi est de restituer de la valeur au client – plus que de servir la machine.