
L’affaire SEC/Citigroup/Rakoff – une vraie affaire de principe sur le « nolo contendere »
Cette affaire, très largement commentée dans la presse économique et juridique, est essentielle car posant un vrai problème de principe – et qui plus est sur une pratique pourtant solidement établie : celle de la SEC de conclure des poursuites contre une société cotée pour violation du droit boursier par un accord comportant une pénalité financière mais sans admission de responsabilité. La SEC estime cette pratique admissible et dans l’intérêt du public, des investisseurs lésés par les faits poursuivis. Et fera appel. Le – célèbre – juge Rakoff de New-York n’est pas de cet avis et estime cette pratique problématique en termes de justice. Rappel de contexte avant d’examiner les positions respectives : la SEC reproche à Citigroup d’avoir violé les règles de marché en informant incomplètement les investisseurs sur une émission de produit structuré à sous-jacents hypothécaire (subprime) de $ 1 milliard, soit en omettant de révéler que Citigroup participait à la sélection des sous-jacents et pariait pour sa part contre ces sous-jacents. Le settlement en question est de $ 285 millions. Quant au juge Rakoff, il est célèbre dans l’affaire Madoff pour avoir nié (en première instance) au trustee Picard le droit de poursuivre HSBC pour des common law claims, soit au-delà de prétentions de droit des faillites, et limité également drastiquement le cadre des créances en clawback (cf. ce blog). Il l’est également pour avoir déjà retoqué la SEC en 2009 relativement à un settlement qu’il estimait insuffisant entre la SEC et Bank of America pour des violations en lien avec le rachat de Merril Lynch par la BoA cf. ce blog). Les pros et les cons donc au cœur de cette question de principe – sur in fine une forme de nolo contendere :
Pour la SEC, il s’agit d’une pratique établie et qui est utile à la régulation de marché dont elle a la tâche. Ce montant de $ 285 millions correspond à ce que la SEC estimait pouvoir raisonnablement obtenir en cas de procès – mais précisément sans devoir encourir les frais et le travail d’un procès. Le jugement, en refusant d’homologuer ce settlement par un consent judgement pour les motifs invoqués, nuit aux investisseurs lésés et que le settlement dédommage. La SEC prétend avoir exposé les faits justifiant les poursuites conclues par le settlement, issus d’une enquête en bonne et due forme. La SEC fait valoir que cette pratique permet des settlements sans devoir mener des procès soit une meilleure allocation de ses ressources – et que cela justifie d’accepter que la société cotée poursuivie n’admette pas formellement sa responsabilité, respectivement que cela n’est pas essentiel. Pour le juge, il s’agit au contraire d’un vrai problème de principe qui tient tant à l’administration de la justice qu’à la mission de la SEC : pourquoi la société défenderesse accepte-t-elle de payer une compensation si elle n’admet pas sa responsabilité, et pourquoi la justice devrait-elle homologuer un consent judgement sans pouvoir dès lors en… juger.
Le juge Rakoff estime que les parties ne lui produisent pas les faits et les admissions nécessaires pour que la justice homologue l’accord en étant convaincue même modestement (sic) de sa justesse. L’absence d’admission ou de dénégation des faits est problématique puisque cela empêche la justice de déterminer si le contenu du jugement, même d’accord parties, est fondé. Le juge va plus loin en estimant que le message que donne la SEC au marché est ambigu en ce que de telles « amendes » sans admission de responsabilité donnent l’impression que c’est un simple prix à payer au régulateur pour faire certaines affaires dans la zone grise quand on se fait attraper, en l’occurrence modeste pour Citigroup ($ 95 millions sur les $ 285 millions au titre de pénalité). Et tout cela laissant finalement le marché non-informé sur le point principal : la société sanctionnée a-t-elle violé les règles de marché et comment ? La SEC a le devoir statutaire envers le marché de révéler les faits et les responsabilités. A suivre donc – avec grand intérêt – puisqu’il appartiendra à la Cour d’Appel du 2ème Circuit de statuer, et peut-être même ensuite la Cour Suprême.
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