
L’accord entre le Liechtenstein et le Royaume-Uni, le banquier de demain censeur fiscal de son client : Et si le débat abordait aussi les réfléxions plus philosophiques et sociétales ?
Le Liechtenstein a signé le 11 août 2009 un accord de coopération fiscale avec l’Angleterre, passé relativement inaperçu ou en tout cas peu commenté à ce stade. Il est inédit en tant qu’il prévoit l’engagement du Liechtenstein de « … commit(s) itself to ensure tax compliance of British clients. ». La Finma réfléchit pour sa part apparemment à la question également incroyable de savoir si le offshore banking est compatible avec la garantie d’une activité irréprochable de la Loi sur les banques. Ces réflexions ont un sens dans un domaine fiscal international en pleine mutation, et dans lequel chaque Etat doit composer avec la sauvegarde à la fois de son fonds de commerce et de ses relations globales avec ses partenaires internationaux. La perception effective des impôts est une préoccupation légitime, même si le débat élude soigneusement le fait que la cause de l’évasion fiscale est toujours située dans le pays de perception – et n’est pas l’existence d’un secret bancaire dans un pays tiers. Les Etats et organismes parties à ces discussions ont une vision exclusivement pragmatique et centrée sur leurs objectifs respectifs précités au sens très étroit : encaisser et sauvegarder. Les implications plus philosophiques, touchant à des choix de société ou à des libertés fondamentales, sont totalement exclues du débat – ce qui est regrettable à court comme à plus long terme.
Le Liechtenstein n’a pas tort de repenser son business model. Il n’a pas le choix. Micro-Etat et quasi-monoculture, il a la chance d’avoir une flexibilité institutionnelle qui lui permet de le faire rapidement. L’accord avec le Royaume-Uni est équilibré, comporte bâton mais aussi carotte, et est de bonne intelligence. Il implique toutefois que dès 2015, le Liechtenstein ne pourra plus avoir de clients anglais dont les avoirs ne sont pas fiscalisés, ce qui nécessitera que le banquier liechtensteinois s’en assure. Dans le cadre étroit d’un accord bilatéral et équilibré, le Liechtenstein l’a accepté. Les clients anglais resteront-ils après s’être mis en règle – ou partiront-ils se cacher ailleurs ? C’est un pari dont la réponse sera connue en 2016.
La Finma se demanderait pour sa part si détenir des avoirs non-déclarés est finalement, ou devenu, incompatible avec la garantie d’une activité irréprochable. La question n’est pas illégitime non plus. Elle participe de considérations et risques juridiques, des relations internationales de la Suisse et donc de politique, et de l’intérêt général de la place financière, soit de policy. Il est peut-être également opportun pour la Suisse de revoir son business model. Cette éventualité représente néanmoins, dans l’ampleur de ses conséquences, un tremblement de terre sans commune mesure avec l’accord entre le Liechtenstein et l’Angleterre. N’osons pas encore en imaginer les modalités de mise en oeuvre, compte tenu notamment du nombre de pays dont des citoyens ont des avoirs en Suisse, et dont un grand nombre est loin d’être des Etats de droit ou permettant un rapatriement « forcé » sans mettre la sécurité des personnes et des biens en danger.
Sur le fond, ces idées peuvent sembler simples, séduisantes, straightforward et légitimes. Payer ses impôts est une obligation. Eh bien que la vie de ceux qui ne le font pas devienne plus difficile. Elles ont toutefois des conséquences et effets pervers, et des implications plus profondes. Elles signifient ainsi le bannissement du système bancaire des avoirs fiscalement non-déclarés, et en font du banquier le contrôleur. Ce bannissement a un corollaire : le déplacement d’une large part de ces actifs dans l’économie clandestine. Est-il souhaitable que des avoirs qui sont certes non-fiscalisés, ce qui peut être un délit, mais qui ne sont pas d’origine délictuelle au sens premier, passent dans la clandestinité ? Ce n’est pas un détail ou un faux problème. C’est une vraie question de société. C’est également faire du banquier le censeur fiscal de son client. Est-ce son rôle ? Est-il souhaitable qu’il le soit – alors que la déclaration fiscale est une responsabilité éminemment propre et personnelle du client ? Est-il souhaitable que la relation entre le banquier et son client, qui doit être fondée sur la confiance, soit teintée de cette défiance ou de cette contrainte ? C’est également une question de société qui dépasse le postulat d’efficacité fiscale qui la suscite. La réponse n’est pas nécessairement négative mais le débat mériterait d’avoir lieu.