La persistance des incohérences suisses en matière d’argent des potentats : Le projet de Loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger (LVP)

Posté le 7 septembre, 2014 dans actu / news, droit / law

Quel nom ronflant et à rallonge – pour la énième loi censée régler le problème de l’argent des dictateurs et corrompus (étrangers bien sûr) en Suisse. Retour en arrière en quelques phrases : le droit pénal et de l’entraide pénale ne suffit pas toujours à saisir, confisquer et restituer des telles valeurs spoliées arrivées dans les coffres des banques suisses. Ces textes offrent en effet hélas des moyens de défense aux personnes visées et les Etats en question ne sont pas toujours en position de poursuivre leurs ex-dictateurs. Le droit constitutionnel d’exception n’est pas une solution pratique ni satisfaisante. Il faut donc faire mieux. Et des escadrons de juristes aparatchiks fédéraux d’y réfléchir avec tout le sérieux qui leur appartient. Vous avez aimé l’inapplicable précédente LRAI (Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées) et ses incohérences juridiques et politiques ? Vous adorerez la nouvelle LVP – l’abréviation est plus courte mais pas son titre. L’al. 2 est un chef d’oeuvre de rédaction législative suisse aux oeillères de cheval : le blocage est admissible si le gouvernement ou certains membres ont perdu ou sont « en passe de perdre » le pouvoir, que le degré de corruption dans ce pays est notoirement élevé (says who?), et si l’on peut supposer (supposer !) que les valeurs patrimoniales ont été acquises par corruption, gestion déloyale (des intérêts publics) et « autres » (?) crimes. Ah ? Un enfant de dix ans se destinant à des études de doit lève la main et dit : Donc avant qu’ils perdent le pouvoir, on peut avoir leur argent ? Oui mon petit… Ca a l’air bête mais tu as tout à fait raison.

Le Message du Conseil fédéral est un même exemple de réflexions juridiques suisses poussées mais passant complètement à côté du débat, ou plus exactement s’enferrant des les inconséquences résultant de la fin qui justifie les moyens, de l’obsession de cette fin : que la Suisse ne soit pas montrée du doigt quand il s’y révèle de l’argent de dictateurs, et qu’elle puisse le rendre à quelqu’un pour faire bonne figure. La perspective historique y est exposée dans le détail, de Marcos aux Printemps arabes en passant par l’impasse du cas Duvalier dont résulte la LRAI. L’arsenal juridique en matière de lutte contre le blanchiment y est disséqué et loué. Puis la conclusion : il faut pouvoir bloquer cet argent quand le régime chute même si le droit pénal ordinaire ne le permet pas. Lisez et relisez pourtant l’alinéa 2 de l’article 3. Si cet argent est là lorsque les conditions de cet alinéa s’appliquent, c’est a) qu’il y a un sérieux problème en amont, et b) que le droit pénal ordinaire doit permettre de le résoudre, a fortiori depuis l’adoption, et l’application dans des cas de ce type, de l’art. 260ter CP sur l’organisation criminelle. Etonnant donc que les ONG promptes à fustiger la Suisse pour accepter de tels fonds in the first place ne soient pas promptes à relever l’ineptie de cette loi à cet égard, plutôt que de se féliciter de l’objectif qu’elle vise avec ses oeillères. Messieurs les dictateurs et PEPs de tout poil lisez-là bien : faites sortir votre argent avant d’être « en passe de perdre le pouvoir » – puisqu’en amont vous aurez été les bienvenus, à défaut de quoi cette loi n’aurait été pondue.

 

 

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