La grande auberge espagnole du nouveau Code de procédure civile suisse : Part I – à J moins 10

Posté le 21 décembre, 2010 dans droit / law, justice

Bon ben voilà, tout le monde a fait son homework, avocats, juges et facultés de droit. Assisté à des séminaires juridiques et autres « journées de » sur le sujet. Lu les commentaires publiés – y compris celui online de Louis Gaillard qui explique la messe avant l’église. Et vendredi dernier, pour sceller le tout, à quelques heures du gong, du séisme, le concile parla finalement. Une  méga-conférence/séance d’information du Tribunal de Ière Instance/Civil de Genève sur ce qui va changer pratiquement dès le lundi 3 janvier. Un show dense de près de deux heures – mais surtout, après toute cette théorie et les questions demeurant immanquablement ouvertes, le côté résolument  pratique. How is this gonna work, et ce qui sera attendu de nous – les avocats. Exposé remarquable par son contenu, mais aussi le travail visiblement approfondi  d’un plénum ayant pris la mesure de la tâche, travaillé l’ouvrage au corps – et parti voir dans les cantons dont il est inspiré comment ils faisaient. Et salle comble comme pour les plus grands artistes. Chacun a ses questions, ses marottes, ses inquiétudes, parfois ses vraies ou fausses certitudes. Ce nouveau code, même si le cadre est resserré et unifié, gardera tout de même certaines spécificités cantonales, restera à certains égards une auberge espagnole – à l’instar d’autres pans ou exemples du droit fédéral. Quelques points donc en deux parties (Part II à suivre) pour ce qui concerne ce blog, à ajouter à ce train. Essentiellement pratiques et concrets également.

Ouf tout d’abord, selon le Tribunal civil genevois, l’allégué fédéral genevois ne sera pas… vaudois (l’affection marquée de ce blog cf. post du 30 mars 2009 pour la procédure vaudoise étant notoire). Un allégué n’est pas un sujet-verbe-complément mais un fait, une idée, une unité de l’histoire constituant elle-même l’état de fait – et offerte en preuve. Plus un roman ou une soupe à la genevoise, mais pas non plus un découpage artificiel et excessif, lequel ne ressort ni de la loi, ni de la sémantique. Et pas des commentaires non plus. Ensuite, l’obligation d’indiquer les moyens de preuve avec les allégués est là. Dont acte – mais un peu dommage. Un litige doit avoir un cadre, permettant sa loyauté et le travail ordonné du juge qui doit le résoudre. Il doit toutefois aussi respirer, laisser parfois ce qui s’est réellement passé se faire jour dans la procédure. L’idée que le litige est figé par ses faits dès le premier acte écrit, lequel doit dès lors tout contenir, et notamment les preuves, n’est pas totalement réaliste. Le but et l’avantage visés sont posés, soit rendre la première écriture plus complète et plus utile. Le risque est néanmoins un formalisme qui étouffe le litige, plutôt que ne serve sa résolution juste. Et avec ce fantasme qui laisse sceptique de l’ordonnance de preuve quasi-mathématique de ce qui doit être prouvé ou contre-prouvé. La réalité est qu’un état de fait se compose aussi de faits contextuels utiles dont la preuve ou la contestation n’est pas nécessaire. A suivre et à voir. Les audiences seront plus longues, plus efficaces, entre juges et avocats obligatoirement mieux préparés pour accomplir l’instruction. Volontiers. L’oralité reprend le dessus. Tout le monde n’aimera pas, ni les avocats n’aimant pas plaider, ni les juges n’aimant pas les entendre. Les plaidoiries devront donc être bonnes, et le juge les comprendre et les consigner fidèlement lorsque la cause, les moyens, seront compliqués. Puis surtout délibère rapidement ensuite, pendant que les plaidoiries et l’impression d’audience demeurent frais dans son esprit. C’est un peu là la contrepartie de cette oralité. Si ces conditions se réalisent, alors cela pourra être un progrès.

Des défis, triviaux ou plus fondamentaux, enfin, comme pour tout système qui évolue : aller plus vite et mieux, plus efficacement. D’abord les témoins. A Genève les enquêtes mettaient trop de temps à être accomplies. Les témoins étaient trop facilement excusés, avec les reports et délais en résultant. A fortiori si tout ou presque doit se dérouler à l’audience, avec le cas échéant les plaidoiries droit derrière, il faudra que les témoins soient là pour ne pas violer le droit à la preuve. Témoigner n’est pas une faveur mais une obligation – et il faudra, corollaire, que les juges les fassent venir, soient beaucoup plus restrictifs sur leurs empêchements. Ensuite, la motivation des jugements. Outre d’être naturel, évident, pour la partie et son avocat, de vouloir savoir pourquoi le jugement est perdu ou gagné, c’est un droit fondamental. Le différer et le faire payer sont un mauvais système, frustrant et rétrograde. Le juge doit juger. Trancher sans rédiger les motifs est un exercice difficile voire dangereux. S’il rédige la motivation, alors il peut/devrait la délivrer également. S’il tranche mais ne rédige pas encore, il fera alors subir un délai difficilement acceptable au 21ème siècle pour le justiciable, lequel aura déjà subi les lenteurs d’un système avec lequel il n’est pas familier. Mesdames Messieurs les juges, avocats et parties genevoises recevaient tous et toujours en matière civile des jugements motivés. C’est dans notre culture et vous avez tous été avocats. Le souhait est que cela perdure, ou que la motivation puisse être obtenue très rapidement, en jours. Quant aux litiges de procédure, il y en aura, nécessairement. La procédure est la règle du jeu, elle sera sujette à interprétation, divergences et décisions. Le justiciable connaît son litige au fond. Il a vécu les faits et sait ce à quoi il prétend et sur quelle base. Sur la procédure, qu’il ignore, il est captif de son avocat et de son juge. Ne le perdons pas de vue en phase de mise en oeuvre particulièrement. La procédure est de la loi, elle doit être respectée. Mais les justiciables sont intéressés à la résolution matérielle de leur litige, pas aux querelles ou controverses de procédure dont ils ne doivent pas être inutilement les cobayes. A suivre !

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