L’attaque en règle de Marie-Hélène Miauton contre la CEDH – et sa Cour – dans Le Temps du 10 octobre vient comme une sorte de caution raisonnée et raisonnable à celles, excessives bien sûr, de l’UDC. Pour autant, elle relève davantage du postulat politique que d’une bonne compréhension de la Convention et de la Cour. Et partant elle est tout aussi pernicieuse, car erronée, que celle de l’UDC. La fierté nationale y transparaît tout de suite : les Anglais seraient vêxés d’être condamnés autant que la Suisse, et les juges du Tribunal fédéral seraient des pleutres rendant des arrêts marqués de la crainte de Strasbourg – il n’y a qu’à voir en matière d’immigration et alors que cette Convention honorable en 1953 n’a sûrement pas été conçue ni conclue pour nous obliger à accepter ces requérants ou criminels étrangers indésirables. CQFD : ces juges étrangers sont nuisibles et portent atteinte à l’essence même de notre démocratie. Cerise sur le gateau du raisonnement : comment la Cour Européenne des Droits de l’Homme pourrait avoir raison puisque nos si bons juges suisses ont tous été d’accord au plan interne et tous recours exercés ? Evidemment, en quelques paragraphes il y a le risque d’être simpliste – mais là c’est le fond du discours qui pêche.
Martin Schubarth, toujours évidemment, est plus fin et surtout plus juridique dans son analyse [1]. Une composition majoritaire de la Cour, quatre juges étrangers donc la majeure partie du temps (mais aussi parfois le juge suisse), ne comprend pas nécessairement la spécificité démocratique de la Suisse, ni les particularismes sociaux-culturels, de chaque Etat membre. Il n’y a pas d’activisme de sa part mais une volonté tout de même de créer par sa jurisprudence une sorte de droit européen – faisant ainsi quasi-acte de législateur. Cela n’est pas sa mission et pose un problème démocratique. Les remarques de Martin Schubarth ne sont pas dénuées de pertinence en cela que la jurisprudence de la Cour entraîne effectivement une uniformité du droit sur un certain nombre de sujets de société. Mais ce qui est précisément son rôle constituant l’organe de contrôle de l’application d’un traité multilateral visant à une telle cohérence dans tous ses Etats membres. Critiquer la Cour sur quelques sujets qui fâchent ou sont porteurs politiquement est faux, car c’est ignorer ses apports immenses en matière de droits de l’homme, tous les droits de l’homme, sur le continent. Vouloir nier cette cohérence revient à nier la pertinence de les voir équivalents et respectés de la même manière dans tous les Etats membres.
Inutile de dire à quel point cela contribue, par les garanties fondamentales de procédure, à la qualité de l’Etat de droit, et donc à la paix et à la prospérité. C’est très bien ainsi que la Suisse puisse y être condamnée, comme la Russie, la Bulgarie ou même l’Angleterre, et aucune des condamnations de la Suisse ces dernières années n’est scandaleuse ou démocratiquement inadmissible. Bien au contraire, comme la CEDH est matériellement identique à la Constitution fédérale en de nombreux points, c’est le signe que les juges du Tribunal fédéral ne sont pas infaillibles ou n’appliquent pas toujours correctement les droits de l’homme de notre propre Constitution. Il est alors bon, juste et nécessaire qu’il y ait cette soupape de sécurité au-dessus d’eux. Sortir par hypothèse de la CEDH serait juridiquement rétrograde, terriblement dommageable pour la qualité de l’Etat de droit et de la justice en Suisse, et pour sa crédibilité internationale en matière de droits de l’homme. En d’autres termes, crûment et avec le ton libre d’un blog, ce serait politiquement et juridiquement catastrophique, et donc complètement idiot.