
Kerviel/Adoboli : Quelques clés de lecture et les symboliques fortes de chaque côté de la barre de ces procès
Un des éléments forts du relais de la condamnation de Kerviel en appel dans les médias a été non pas les trois ans de prison ferme – mais sa condamnation à rembourser le préjudice de 4,9 milliards d’euros. Comme les 150 ans de prison de Madoff, pour avoir volé 17 milliards de dollars, cette condamnation a frappé les esprits : purger 150 ans de prison à 70 ans paraît absurde, comme de devoir rembourser 4,9 milliards. Et la justice d’afficher finalement un visage absurde : 150 ans de prison ou 4,9 milliards à rembourser – 370’000 ans au smic. Peine de mourir en prison pour l’un. Mort civile pour l’autre qui ne pourra jamais rembourser et est en fait condamné à vivre du minimum vital insaisissable toute sa vie. Vraiment absurde ? Pas juridiquement. Kerviel devrait-il 15 millions que cela signifierait probablement la même chose à vues humaines. Est-ce rude, inhumain, d’être condamné au minimum vital toute sa vie ? C’est le toute sa vie qui choque ici – mais de nombreuses personnes sont hélas à ce régime dans la société à raison de leurs actes ou simplement de circonstances de la vie. La vie moderne permet de fait des situations dans lesquelles une personne peut causer un dommage sujet à réparation selon la théorie générale du droit des obligations qui dépasse sa capacité de revenu – à vie. Faut-il donc s’en offusquer ? Envisager qu’il y ait d’autres plafonds juridiques que l’insaisissabilité du minimum vital ? Probablement pas. Intéressant enfin l’importance que cet aspect a pris dans les médias suite à cette condamnation – sans plus une ligne sur l’énormité du dommage causé : 4,9 milliards.
L’émotion sur l’ampleur de cette condamnation tombée sur les épaules d’un seul homme au demeurant condamné à une peine de prison relativement légère a totalement éclipsé le risque de faillite qu’il a fait courir à cette banque – qui se serait traduite par le chômage de milliers d’employés (550 pour UBS du fait de la perte d’Adoboli) et la ruine de milliers de clients. Cette faillite n’ayant pas eu lieu, et ce dommage n’étant plus qu’un chiffre lorsqu’il est perdu par une grande banque, Kerviel reste pour beaucoup un lampiste, une victime du système, de l’appétit de gain de la banque. Et, le front vindicatif, de reporter la faute sur les autres, sur la banque, sur le système. En oubliant qu’il a fauté à titre primaire – et que la justice n’a pas reconnu dans le chef de la banque de faute qui exclue sa propre responsabilité pénale. Car même s’il y a une nuisible culture du casino dans ces secteurs de la finance, la lecture se brouille ici en ce sens que Kerviel comme Adoboli comme Nick Leeson avant eux ont fauté. Ils ont exploité des failles de la surveillance, un laxisme et une culture peut-être, mais ils ont violé, avant même la loi pénale, les procédures internes et de contrôle, leurs limites internes dans leurs positions. Et ce qui est grave est que Kerviel et Adoboli en sont dans le déni. Adoboli joue au bon soldat. Ni l’un ni l’autre n’admet que même si la défense d’avoir été une créature du système a un certain sens, ils ont tous les deux sciemment violé les règles.
La responsabilité du système pour ses failles est réelle – ne serait-ce que parce que ces affaires ont eu lieu. Mais elles n’enlèvent pas cette responsabilité individuelle primaire et l’effrayante perte de repères et de sens moral individuel de ces traders. Finalement, trois ans et 4,9 milliards par rapport au quinze ans fermes que prend un braqueur d’agence bancaire de province pour 100’000 euros s’il a de le chance, ce n’est probablement pas cher payé.
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