RICO ACTION IN MOSCOW – Pas le titre du prochain James Bond mais un truc de fou et bel exemple de créativité judiciaire vingt ans après la guerre froide

Posté le 6 novembre, 2008 dans droit / law

Un truc de ouf, créatif, intéressant, intelligent. RICO pour Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act, une loi fédérale américaine prévoyant la répression pénale aggravée de crimes commis dans le cadre d’une organisation ou d’une entreprise criminelle. Le RICO Act ne se limite pas au racket contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser croire, mais peut prendre appui sur trente-cinq infractions de base dont des crimes financiers et le blanchiment. Le RICO Act est ainsi utilisé à la fois contre la mafia ou des trafiquants que s’agissant de criminalité financière. C’est une arme particulièrement efficace et redoutée en mains de parties civiles car instituant des droits de réparation civile directs avec triple damages. Pour tout acteur à priori légitime du monde économique, être mis en cause sur une base RICO pour les actes de ses auxiliaires est donc une vraie tuile et un sérieux péril judiciaire. Si le RICO Act est bien connu aux Etats-Unis, il n’en va pas de même à l’étranger en dépit du penchant connu des américains pour l’application extraterritoriale de leur droit. Il est mal compris également que dans certains cas de situations présentant un ou plusieurs rattachements de fait même ténus avec les Etats-Unis, il y a exposition au risque de tomber sous le coup de cette loi – et que cela fait mal.

Vous vous souvenez de la célèbre affaire de blanchiment russo-américaine Bank of New York / Lucy Edwards / Peter Berlin ? Il s’agit d’une affaire emblématique de blanchiment dans laquelle dans le début des années 90, deux employés de cette banque ont blanchi par des transferts bancaires et des réseaux de sociétés pour 7,5 milliards de dollars de Russie aux Etats-Unis. Cette affaire est un des cas d’école enseignés aux Etats-Unis en matière de blanchiment et de compliance. Elle a eu lieu à l’époque du début de la prévention prudentielle du blanchiment dans le secteur financier et de toutes les rapines rendues possibles dans la Wild Russia ayant suivi la chute du régime soviétique.

Aujourd’hui, par l’intermédiaire d’avocats… américains de poids, puisque parmi-eux le célèbre professeur de Harvard Alan Dershowitz, l’Etat Russe (par ses douanes) réclame 22,5 milliards de dollars à la Bank of New York Mellon sur la base du RICO Act devant les tribunaux… russes ! La thèse soutenue est qu’il est un principe de longue date et bien établi du droit américain que le RICO Act a vocation à s’appliquer devant toute juridiction au monde dès lors que ses règles de conflit de droit permettent l’application du droit étranger. Une entité américaine devant respecter cette loi au plan national, elle ne peut se plaindre de se voir reprocher même à l’étranger de l’avoir violée puisqu’elle est tenue à ce standard. La Bank of New York Mellon, défendue par de tout autant poids lourds (l’étude Boies – ayant représenté Al Gore en 2000 dans le cadre du challenge judiciaire de l’élection de George W. Bush, plaidé contre Microsoft en anti-trust et défendu Napster, flanquée d’un ancien US Attorney General), soutient que le Congrès n’a jamais prévu ni voulu l’application du RICO Act par des juridictions étrangères et que le jugement serait inexécutable aux Etats-Unis.

Lors d’une audience en Octobre, l’Etat russe a apparemment… omis de se présenter au tribunal et une première partie d’instruction sur ces questions de droit s’est faite… sans lui ! La suite dès le 13 novembre.

Cette affaire est fascinante par sa perspective historique et géopolitique : plaider une loi pénale spéciale américaine au profit de l’Etat russe, devant la justice russe c’est-à-dire d’un pays encore affecté au plan de l’Etat de droit par ses septante ans de totalitarisme, par des avocats américains vingt ans après la guerre froide, c’est tout simplement fou, incroyable. Elle est fascinante également parce qu’exemplative des évolutions, innovations et passerelles que crée et offre la mondialisation également au plan juridique et judiciaire. Plus qu’à suivre !

3 réponses à “ RICO ACTION IN MOSCOW – Pas le titre du prochain James Bond mais un truc de fou et bel exemple de créativité judiciaire vingt ans après la guerre froide ”

  1. Matteo Pedrazzini dit :

    Cette histoire fait évidemment penser à l’autre, plus simple, mais immuable dans son enseignement, celle de l’arroseur arrosé!
    En attendant de connaitre le degré des sophistications des juges russes
    qui pourrait bien recompenser l’audace et la créativité des avocats américains.

  2. fabio spirgi dit :

    C’est génial + parfaitement d’accord avec Matteo !

  3. Shahram Dini dit :

    Incroyable effectivement! Et effrayant: A quand l’application du RICO contre les banques suisses pour les avoirs américains non déclarés dont elles étaient les dépositaires?

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