Planète banque et finance : la guerre des ratios prudentiels, celle de la réforme du droit des délits boursiers et les formidables nouveaux marchés du private banking

Posté le 22 septembre, 2010 dans finance / eco

Actualité chargée et à de nombreux égards irritante. La discussion sur la nouvelle réglementation en matière de ratios prudentiels des banques continue – mais dans une certaine cacophonie, bien lentement et face à une résistance passive voire active considérable. Le fait qu’elle tourne essentiellement autour des ratios et des segments de fonds propres, sans aborder concrètement et symétriquement des limites en termes de d’activités pour compte propre et de levier,  lui supprime par avance crédibilité et efficacité – puisque la qualité des réserves de couverture d’un risque dépend par définition de la nature et de l’ampleur de ce risque. Seuls pour l’instant les Etats-Unis semblent s’acheminer vers une règle concrète à cet égard. L’UBS affirme laconiquement ne plus effectuer d’opérations pour compte propre – alors que c’est cela et cela seul qui l’a exposée (de manière honteusement impunie) à la faillite. L’argument que la création du terreau de ces risques est attribuable à la politique de taux bas des banques centrales est d’une plus parfaite mauvaise foi. Il revient à incriminer les voitures pour les accidents parce qu’on les laisserait conduire sans permis. La palme en la matière revient néanmoins à la menace que l’élèvement des ratios prudentiels restreigne la disponibilité du crédit pour les clients des banques, et donc l’économie – lorsque l’on sait précisément les risques inconsidérés que les banques elles-mêmes ont pris pour compte propre, et fait prendre à leur clientèle au travers de produits structurés, du fait de cette disponibilité de crédit bon marché. Enfin, il est bien sur un plan de pure morale capitaliste de ré-envisager expressément que des banques puissent faire faillite, mais cela est en revanche moins justifiable sociétalement, comme il est également loin d’être certain que cela dissuade de comportements et de prises de risques déraisonnables. Avec pour effet que l’approche réglementaire apparaît largement préférable sinon inévitable.  Il serait sain qu’au moins un temps, les banques en reviennent à leur activité primaire et la plus essentielle pour l’économie, c’est-à-dire de conserver les dépôts de leur clientèle en leur servant un intérêt et de prêter sur la base de ces dépôts avec comme produit le différentiel de taux correspondant au risque de défaut des opérations de crédit et à sa marge – ce dont l’économie profiterait précisément du fait de taux bas et à mon avis destinés à le rester.

Sur le plan de la réforme visant à mieux cadrer et réprimer les délits boursiers, par une révision de la LBVM, le résultat de la consultation est édifiant et consternant. Sous couvert d’arguments largement spécieux, chaque corporation y va de son opposition pour protéger sa propre pratique et ses propres intérêts, au mieux pour s’éviter des obligations de contrôle, au pire niant la nécessité de la réforme pour demeurer en dessous des radars et/ou poursuivre des pratiques clairement lésionnaires du marché. L’argument de ce que la définition du droit pénal actuel suffit est particulièrement spécieux – puisqu’il n’est précisément pas appliqué par des autorités de poursuite pénale qui ne reçoivent aucune dénonciation, qui n’ont aucune envie ni les capacités de traiter ce type de délits, et cela dans un système procédural qui leur est largement inadapté. Faire réprimer ces délits par la FINMA revient certes à dédoubler le gendarme, cela pose certains problèmes juridiques et de délimitation, mais c’est indispensable en l’état de l’impunité quasi-totale dans laquelle vivent bienheureux les marchés de valeurs tout particulièrement en Suisse. Le vrai défi n’est cela étant pas dans l’hypertrophie réglementaire mais bien dans la surveillance et les ressources qui peuvent lui être allouées – et en l’état ni la FINMA ni même les bourses elles-mêmes ne se donnent réellement les moyens d’une telle surveillance efficace. Les statistiques en matière de détection et de répression des délits boursiers et abus de marché parlent pour elles-mêmes : les marchés sont littéralement à 100% vertueux – ce qui n’est naturellement pas conforme à la réalité.

Un petit mot de la fin (et d’humour) sur l’avenir et les perspectives du private banking. Ainsi HSBC Private Bank a, sûrement à sa grande surprise, annoncé plusieurs milliards de belles entrées d’argent nonobstant l’affaire Falciani et le binz fiscal avec certaines clientèles européennes et américaine, CDIs révisées, scudetto fiscale et tutti quanti. Tout en concédant qu’il s’agissait d’argent venant désormais plutôt de l’est et d’Asie. Idem du jeune Collardi de Julius Baer qui indique dans une interview récente que les Etats-Unis sont dans leur dos, et leur nouveau terrain de chasse l’Asie et les pays de l’Est, Russie, Ukraine, Kazakhstan, Pologne, République Tchèque, mais aussi le Brésil, le Mexique, le Moyen-Orient de manière générale ou encore la Turquie. Le message est clair et candide : au revoir la vieille dame française qui avait son bas-de-laine au noir, et bonjour la clientèle prometteuse de ces pays lesquels, sans avoir l’esprit de chagrin de rappeler qu’ils ferment plus ou moins tous la marche du classement de Transparency International, sont encore affranchis, et pour un moment encore, de toute préoccupation de lutte contre l’évasion fiscale ! Mais dont la clientèle ayant réussi en affaires à besoin comme jadis les autres d’un lieu sûr pour placer son argent qui ne l’est pas sur place. Tout cela finalement comme les cigarettiers vont faire fumer les mêmes asiatiques et se refont plus qu’entièrement du dommage des interdits édictés avec des résultats concrets de santé publique dans le monde occidental… Faut bien vivre quoi…

4 réponses à “ Planète banque et finance : la guerre des ratios prudentiels, celle de la réforme du droit des délits boursiers et les formidables nouveaux marchés du private banking ”

  1. […] FCPA – Foreign Corrupt Pactices Act – un nom familier en la matière. Le groupe suisse Panalpina et sept sociétés affiliées ont settled des charges de corruption moyennant une amende de $ 236 millions. Cela pour des actes de corruption en Afrique (Angola et Nigeria), Brésil et Asie (Russie, Kazakhstan, Azerbaïdjan et Turkménistan).  Deux points particuliers au plan juridique – au-delà des faits et de ces délits eux-mêmes. Panalpina n’a pas agi sur sol américain et n’est pas coté aux Etats-Unis. La compétence invoquées par les autorités américaines est indirecte : Panalpina a agi comme prestataire de services, et donc comme agent, de clients américains (cotés). Et donc dans leur intérêt. C’est la première fois que la SEC fait valoir des charges contre une société n’étant pas cotée aux Etats-Unis – mais apparemment le DoJ l’aurait déjà fait. Commentaire : l’efficacité retrouvée des Etats-Unis en matière de lutte contre la corruption ces deux dernières années a également trait au fait que la SEC, gendarme de la bourse, peut dans le système américain les faire valoir également. Pas de poursuites pénales en Suisse (pas plus que pour ABB d’ailleurs). Etonnant – mais la réalité est que les autorités de poursuite pénale suisses sont encore mal outillées pour instruire de telles infractions, et dénuées de la culture juridique d’ouvrir des enquêtes hors de dépôts de plaintes. En Suisse, les autorités savent poursuivre les cambrioleurs, les trafiquants, les criminels violents, les infractions économiques classiques (le boursier communal, le municipal ou l’employé de banque qui piquent dans la caisse) – mais pas les corporate or financial crimes (cf. ce blog du 22 septembre). […]

  2. […] de poursuite pénales zurichoises ont déjà montré leurs limites dans l’affaire UBS (cf. ce blog, ce blog et Le Temps). Elles sont incapables de traiter ce type d’affaires – et de fait […]

  3. […] des banques suisses pour quelques décennies de plus comme certains le disent ouvertement (cf. ce blog du 22 septembre 2010). Pour revenir à Rubik, la dernière bassesse (suisse) en date, bien loin des communiqués […]

  4. […] dans lequel l’évasion fiscale profite encore aux élites politiques et économiques (cf. ce blog). A cela s’ajoute le fait – inique et idiot, et peut-être même pénal – de donner aux […]

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