
Quand et pourquoi un juge dérape : Trois exemples de haut niveau – Garzon, Van Ruymbeke, Keller – d’un intéressant cas de figure – et pourquoi en cette matière la fin ne peut jamais justifier les moyens
Les avocats sont comme les médecins – ils ne voient que les malades et leur vision n’est pas, hors d’études statistiques ciblées, celle de la réelle prévalence de certains comportements dans la société. Ils voient donc toutes sortes de personnes déraper, du col blanc au pédophile en passant par les mules, des banquiers, d’autres avocats parfois et… des juges également. Difficile de ne pas remarquer de tels cas, relativement rares – ou en tout cas la part qui se révèle. Difficile de ne pas s’y intéresser vu que le juge détient une puissance institutionnelle. Celle de juger, détenir, accuser, poursuivre. En Espagne, le « célèbre » juge Garzon a été suspendu de ses fonctions pour avoir passé outre la loi d’amnistie empêchant d’instruire des crimes du franquisme. Un juge peut tester certaines interprétations de la loi – sous le contrôle de l’autorité de recours qui peut le recadrer ou le conforter. Il peut entamer ou mener des poursuites difficiles, courageuses, inédites – comme il l’a fait. Mais un juge ne peut s’affranchir du droit édicté par le législatif. Le juge Garzon a procédé à un acte de nature politique, symbolique. Un juge peut avoir des opinions personnelles, dans la limite de son obligation d’objectivité et d’impartialité, critiquer la loi lorsqu’elle lui semble inopportune ou inefficace, appeler à ce qu’elle soit modifiée – mais pas y remédier lui-même. Le juge Garzon plaide que l’imprescribilité des crimes contre l’humanité l’emporte sur les lois d’amnistie. Il verra cette fois au travers de son propre procès s’il avait raison ou non. Ses motivations intimes de prendre une position aussi radicale, qui interpellent naturellement également, seront elles aussi instruites.
En France, le juge Van Ruymbeke a fauté en rencontrant hors audience et hors PV un informateur initial de l’affaire Clearstream. Cette faute peut paraître minime compte tenu de la poursuite contradictoire et régulière de la procédure, des états de services du magistrat, et de sa frustration de s’être cassé les dents sur la raison d’Etat – mais dura lex sed lex – dans l’affaire des frégates. Mais pourtant elle ne l’est pas. Sa complainte du complot politique fait plutôt dans le Pasqua qu’autre chose vu que cette faute primaire est la sienne et la sienne seulement. L’excuse de ce que l’affaire Clearstream aurait été une diversion pour celles des frégates n’est pas crédible – tant le panneau dans lequel il est tombé était gros. Le juge d’instruction est l’homme le plus puissant de France par son pouvoir de coercition, celui de lancer l’opprobre, par les fuites institutionnelles du système envers la presse, et par l’ineffectivité de son contrôle par la Chambre de l’instruction et par le JLD. Il est juste intolérable en tant que tel qu’une procédure pénale prenne naissance de manière irrégulière, et qu’un juge effectue un acte qui relève de la procédure hors celle-ci. Qu’elle qu’ait été la motivation du juge, ce dérapage est étonnant – et lui aura in fine coûté infiniment cher par rapport à l’ensemble de sa carrière. Lui aura fait prêter le flanc aussi à tous ceux qui avaient de bonnes ou mauvaises raisons de lui en vouloir – ou de s’en réjouir.
Aux Etats-Unis enfin, la juge Sharon Keller, Présidente de la Cour d’Appel criminelle du Texas, aura sûrement suffisamment perdu, sommeil et honneur, et souffrira de suffisamment à la fois d’opprobre et de remords, pour ne finalement pas être sanctionnée disciplinairement. Le 25 septembre 2007, la Cour Suprême des Etats-Unis annonça qu’elle allait accepter d’examiner une affaire de peine de mort par injection dans le Kentucky. Le même jour, un condamné à mort texan devait être exécuté par injection. Les avocats du condamné appelèrent la juge pour demander à pouvoir déposer un ultime recours contre l’exécution mais après l’heure de fermeture des tribunaux à 17 heures. La juge refusa et le condamné fut exécuté. L’enquête disciplinaire constata des fautes de part et d’autres, et notamment de communication. Elle releva néanmoins que sans avoir violé la loi, son intransigeance en lien avec l’horaire du greffe n’était pas acceptable compte tenu des circonstances exceptionnelles – conclusion effectivement difficilement contournable. Décision humaine d’un instant aux conséquences définitives. L’erreur est humaine – mais la responsabilité d’un magistrat dans de telles circonstances réelle, concrète et qu’il doit assumer.
[…] déjà évoquée sur ce blog, le cas de policiers ou de magistrats qui dérapent est naturellement un sujet […]