Le juge, sage, humain, raisonnable et constant – vraiment ?

Posté le 6 janvier, 2013 dans justice

Dans nos Etats de droit démocratiques continentaux, la personne du juge et le mécanisme interne de l’action de juger ne font, sauf le cas de quelques rares olibrius ou erreurs de casting, pas l’objet d’une attention particulière. Les parties et les avocats se préparent au procès, à l’audience. Un intérêt seulement limité sera porté à la personne du juge – davantage pour anticiper la gestion et la police de l’audience que pour adapter la stratégie ou les moyens. La personne du juge s’efface généralement derrière la fonction – sur le constat que la qualité des juges est assez constante, qu’elle est socialement acceptable, qu’il n’est pas possible de le choisir et qu’il n’y a souvent rien de vraiment concret ou exploitable à tirer de l’analyse de la personnalité ou des sensibilités d’un juge donné. Et c’est probablement bien ainsi. La justice est une science humaine qui doit s’accommoder des personnes et personnalités – des deux côtés de la Barre. Et pourtant. Lorsque des études ont lieu sur le sujet, les résultats sont souvent surprenants. Ainsi The Economist révèle-t-il que devant la justice israélienne, la mise en liberté anticipée est plus largement accordée… après le déjeuner qu’avant. Zut pour nous avec nos audiences de détention provisoire le matin et surtout pour ceux qui passent juste avant le déjeuner… Et que plus largement le biais au sens de distorsion est à la fois fréquent et inconscient dans le processus judiciaire. Pas étonnant car inhérent à la nature humaine même s’en défendant – mais qu’en faire et qu’en tirer ? Rien – sans une analyse statistique représentative.

Dans un article sur une étude de 2010 The Psychology of Trial Judging, ou dans un autre Extraneus Factors in Judicial Decisions de 2011 citant le premier et comportant l’analyse israélienne citée par The Economist, il nous est rappelé l’influence de nombres de facteurs cognitifs, intellectuels, culturels, politiques, etc. dans le processus du jugement, et ainsi in fine les limites de la rationnalité du processus et du syllogisme judiciaire. Intuitivement chaque avocat aura à l’esprit un cas ou une anecdote sur un biais matériel qui ne se sera révélé qu’a posteriori mais qu’il estimera, a posteriori, évident. Chaque juge aura de même le souvenir d’un cas dans lequel il s’est dit ouvertement qu’il fallait éviter un biais potentiel – avec peut-être dès lors inconsciemment un biais effectif inverse. Intéressant toujours dès lors de parcourir de telles études. Mais difficile toujours également d’en tirer des enseignements exploitables pour nos procédures au-delà de simples et limitatives intuitions. Et pourtant. Le processus d’élaboration de la stratégie d’un dossier, d’une audience ou d’une plaidoirie devrait ne pas comporter que l’approche juridique rationnelle du fait et du droit et intégrer tout de même quelques considérations, voire renseignement et recherches, sur son ou ses juges, sur ces facteurs contextuels ou extrinsèques à la cause susceptibles d’en influencer le sort. Ce n’est pas là nier l’application du droit mais juste tenir compte de réalités – simplement humaines.

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