
Allongement des délais de prescription pour les délits graves : Mauvaise idée et oreiller de lenteur pour la justice – mais surtout qui viole les droits fondamentaux
Pour pouvoir lutter efficacement contre la criminalité économique, le Conseil fédéral veut allonger les délais de prescription de sept à dix ans pour les délits graves. L’idée que Berlusconi par exemple échappe à une large partie des poursuites en cours contre lui pour des faits avérés en raison de la prescription est insupportable. Pour autant cet allongement est une mauvaise idée, ne sert ni l’idéal ni la réalisation de la justice, et viole les droits de la défense et même certaines garanties constitutionnelles. Et les motifs le trahissent ouvertement. Selon le Parlement et le Conseil fédéral, les procédures pénales relatives aux infractions économiques sont souvent longues et complexes et un délai de prescription de sept ans ne suffit souvent pas pour mener les procédures à terme. Donc il n’y a qu’à l’allonger. Et comme la criminalité économique est une définition difficile à poser, allongeons la prescription pour les délits graves. Circulez c’est donc tout simple et très clair. Si une enquête ne peut être bouclée en sept ans, donnons-lui dix ans. Mais ce raisonnement est inadmissible, déceptif et grave pour plusieurs raisons.
Sept ans, à l’échelle d’une vie humaine, celle d’un escroc comme d’un procureur, c’est long. C’est grosso modo un cinquième ou sixième de sa vie active. Postuler que des enquêtes ne peuvent être menées à bien en sept ans est un constat d’échec auquel l’allongement de la prescription à dix ans, un quart de sa vie active, n’est pas la bonne réponse. Coupable ou innocent, life must go on. Le coupable comme l’innocent ont un droit supérieur, fort malmené même en Suisse, à être jugés dans un délai raisonnable. Etre inculpé sept ou dix ans pour être innocenté en fin de compte est une punition alternative illicite. Il n’est pas rare en Suisse que des affaires correctionnelles peu complexes mettent quatre ans à être jugées – ce qui est inacceptable. Sept ans pour ne pas arriver à boucler une enquête même complexe ? Mais dans l’économie privée, la science, la recherche, il s’accomplit en quelques mois parfois le volume de travail qui prend sept ans à la justice dans des conditions de complexité similaires. Et il est absurde de considérer qu’il faudrait passer de sept à dix ans le délai pour instruire des actes passibles de… trois ans de prison !
Problème de moyens ? De méthodes ? De procédure ? De temps morts ? Peu importe. Ce n’est pas au mis en cause de faire les frais de carences qui ne doivent pas être érigées en système par résignation ou comme s’il n’y avait aucun autre remède – ce qui n’est pas vrai. Outre la difficulté d’instruire et la fiabilité décroissante des preuves testimoniales avec l’écoulement du temps, ratio même de la prescription, ne donnons pas d’oreiller de lenteur supplémentaire à la justice – au détriment des droits fondamentaux. Si délit grave il y a, et qui doit certainement être poursuivi, il doit être ficelé en sept ans. S’il ne l’est pas, la société comme les personnes ont un droit supérieur à ce que la vie continue, à ce que des situations ne soient pas en suspens pour un temps excessivement long qui ruine ou paralyse des vies sans remède à la sortie en cas d’innocentement.