Birkenfeld le retour ou qui veut faire 30 mois de prison pour 104 millions de dollars ? Et les problèmes que cela pose à l’industrie bancaire suisse

Posté le 11 septembre, 2012 dans actu / news

Eh bien voilà. Birkenfeld avait clamé et persisté y avoir droit – en dépit de sa propre condamnation pénale pour avoir participé aux activités illégales d’UBS sur sol américain. Il vient de se voir allouer 104 millions de dollars – pour avoir permis à la justice américaine de poursuivre UBS pour ces activités, et de settle pour 780 millions. Soit selon le programme de récompense de ceux qui permettent la détection et la réparation d’actes illicites pénaux, le whistleblower program (cf. ce blog). Il y a droit dans la mesure où selon les conditions du programme, le whistleblower doit avoir permis, avoir été nécessaire à l’enquête et à la poursuite de l’auteur de l’infraction, ici UBS. Le DoJ l’a admis depuis 2009. Il a en revanche malgré tout été condamné pour son propre rôle dans cette activité illégale, pour laquelle il n’a pas initialement été aussi transparent qu’il aurait pu l’être. Ainsi donc : 104 millions pour 30 mois (purgés sur 40) de prison. Il n’y a pas de problème juridique à récompenser celui qui permet la poursuite de l’auteur d’une infraction et la récupération ou confiscation de sommes importantes. Un paramètre particulier de cette affaire est toutefois que pour prétendre à cette prime et diminuer sa propre peine, Birkenfeld a dû violer le secret bancaire suisse, soit commettre une infraction pénale de droit suisse punissable en Suisse. Il risque donc, en théorie puisqu’il ne reviendra probablement pas en Suisse, une double-peine fondée sur des intérêts protégés distincts. Un fait justificatif est-il envisageable puisqu’il s’agissait pour lui de mitiger sa propre peine aux Etats-Unis, et/ou du fait que l’activité à laquelle le secret bancaire suisse est applicable était elle-même in casu illicite ?

Ce point n’a jamais été évoqué, ni dans les affaires de CD volés ni dans l’affaire Falciani. La discussion ou l’argument a plusieurs degrés : une autorité d’un Etat de droit peut-elle utiliser des preuves dont elle sait la provenance illicite ? En France la Cour de Cassation a dit non dans l’affaire Falciani précisément. Ce qui est admirable en termes de respect du principe de la légalité de la preuve. En Allemagne au contraire, il semble admis, même si la Ministre de la Justice a exprimé le contraire la semaine dernière avant de se faire rabrouer au plan politique par le Ministre des Finances, que l’Etat peut même participer activement à l’obtention d’une preuve obtenue en violation du droit – soit en payant pour elle. Certes les fraudeurs fiscaux commettent eux-mêmes en premier lieu une infraction – mais tous les clients des banques dont des données sont volées et vendues sur CD ne le sont pas. Cette problématique est donc complexe. Elle montre en tout cas, mais sujet soigneusement évité, les limites du principe d’un mandat d’arrêt européen. Il est adéquat pour des infractions de droit commun constantes, meurtre, viol, brigandage. Il devient problématique pour les infractions en lien avec les différences philosophiques entre systèmes juridiques. L’Allemagne n’arrêtera pas ainsi le fonctionnaire allemand sur base d’une mandat (européen) suisse pour violation du droit suisse – le MPC suisse ayant ouvert une enquête pénale dans l’une de ces affaires de CD volés. Quant aux Etats-Unis, personne ne songera à leur faire grief ou à contester juridiquement l’utilisation d’informations données par Birkenfeld en violation du secret bancaire suisse.

En résumé deux remarques. L’affaire Birkenfeld comme les cas de CD volés récompensent clairement in fine la violation, y compris pénale, des principes suisses de confidentialité, mais dans une situation dans laquelle l’ordre juridique suisse prescrit schizophrènement de ne pas encourager l’évasion et la fraude fiscale étrangère, et dans laquelle évasion et fraude il y avait avec et par la commission d’actes illicites sur sol étranger. Ensuite les américains sont décrits comme brutaux à l’égard de la petite, fragile et gentille Suisse – mais là n’est pas la question. Elle réside dans le fait que toutes les banques suisses poursuivies ont déployé une activité illicite sur sol américain – ce qui les expose sans discussion à ses conséquences légales. Ni plus ni moins. Sachant qu’aucune banque ne peut se priver de traiter sur les marchés financiers américains et de traiter en US dollars, la messe est dite. C’est donc ici, bien moins qu’une question politique arbitrable politiquement, une question juridique et judiciaire se réglant sur ce terrain-là. Ni plus ni moins – mais comme ce blog le relevait déjà lors de la première inculpation de Raoul Weil en… 2008 et même s’il y eut en Suisse des aléas judiciaires de droit interne sur la transmission (légale) de données de clients aux Etats-Unis tels que l’arrêt du TAF de début 2010. Mot de la fin : les 104 millions de Birkenfeld sont… taxables !

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