Madoff – point de situation : L’encre de la bouteille s’épaissit, les rapports de force entre le trustee Picard et les défendeurs visés par ses actions s’équilibrent, et les nouvelles prévisions de dividende

Posté le 28 octobre, 2011 dans finance / eco

L’encre de la bouteille s’épaissit. Certains points de droit des faillites pourtant déjà tranchés reviennent sur le tapis, à la faveur de recours, de demandes de reconsidération ou sous l’angle du droit civil. Les procédures, pour ne pas dire la guerre, entre le trustee Picard et les parties qu’il attaque, s’antagonisent mais s’équilibrent. Avec notamment le déplacement d’un certain nombre de contestations de la Cour de droit des faillites vers des tribunaux civils fédéraux ordinaires. Tout cela complique et ralentit – avec un impact final sur la liquidation de BMIS et sur le dividende qui sera versé aux lésés probablement moindre que ce qu’il y paraît. Décodage résumé autant que faire se peut – attention c’est plus long et moins digeste que d’habitude – des points essentiels qui reviennent ou demeurent sur le balan. Soit notamment le net in, la qualité de clients directs, les dommages ordinaires de Common Law, le clawback et la bonne foi, etc. :

1. Au plan des chiffres, le trustee a recouvré de tiers ou conclu avec ceux-ci des accords pour USD 8,694 milliards. C’est 50% du net in/loss hors intérêts revu à USD 17,3 milliards. Des procédures bloquent temporairement la disponibilité de USD 5 milliards. Le sort de USD 1,652 milliards dépend de la résolution finale de la net equity issue. Sur ce point, la position du trustee a été confirmée en août en appel (cf. ce blog) mais plusieurs parties ont demandé une ré-audition de la cause en appel et un recours devant la Cour suprême demeure possible. Le trustee a commencé à distribuer USD 312 millions disponibles à 1’230 clients admis, cette distribution représentant 4,6 % de leurs créances admises. Le niveau de dividende dépendra pour majeure partie de la résolution de deux points : l’ampleur du clawback que Picard peut appliquer, qui vient d’être recadré le jugement « Mets » (cf. ci-dessous), et celui de savoir s’il peut faire valoir des prétentions en dommages-intérêts (cf. ci-dessous également).

2. Sur la qualité de créanciers pouvant produire pour leur dommage dans la faillite de BMIS, la Cour des faillites a jugé en juin (cf. ce blog), suivant en cela le trustee et le SIPC, que seuls les clients directs étaient créanciers. Ce qui présente une certaine logique, les porteurs de fonds feeder n’étant pas personnellement titulaires de comptes auprès de BMIS. Des investisseurs lésés dans seize des fonds feeder ont ouvert action devant une cour civile pour faire revoir cette décision. Pour eux, 95 % de l’argent investi auprès de BMIS l’a été par des fonds feeder. Ces fonds ont été créés spécifiquement pour investir dans BMIS. Ce qui devrait justifier une qualité directe de créanciers dans la faillite. Cette procédure débute et bloquera donc un certain temps le versement d’un dividende plus étendu.

3. Deux cent quarante-sept des procédures introduites par le trustee font l’objet d’une tentative de forum shopping des défendeurs pour que, comme l’ont réussi HSBC, UBS, JPMorganChase et autres Katz et Wilpon, certains points de droit soient revus par une cour civile – plutôt que par la Cour des faillites laquelle a toujours confirmé les positions du trustee. Picard s’en plaint au motif que cela coûte et perturbe le système applicable de droit des faillites, lequel est cohérent et adéquat. Des défendeurs agissant en ce sens se sont regroupés en un Network For Investor Action & Protection.

4. Dans la procédure contre HSBC et. al., le juge civil fédéral ordinaire Rakoff a nié (cf. ce blog) le 28 juillet au trustee le droit de faire valoir des prétentions ordinaires en dommage et intérêts fondées sur la Common law, lesquelles appartiennent aux victimes et non à la masse, mais uniquement des prétentions de droit de la faillite (essentiellement en clawback et en restitution d’honoraires). Cela réduit les prétentions contre HSBC et autres de USD 9 milliards à USD 2 milliards. C’est un revers mais dont l’impact seul sur le net in est limité. Pour les défendeurs, la différence est en revanche considérable. Picard a toutefois fait appel. Cette procédure vise également les fonds Thema et prestataires en lien avec celui-ci, ainsi que s’agissant du fonds Hermes.

5. JPMorganChase demande également à une cour civile de limiter les prétentions du trustee comme dans HSBC. Limitées aux prétentions de droit de la faillite, elles tomberaient de USD 19 milliards à USD 1 milliard (cf. ce blog). Le trustee réclame des dommages-intérêts équivalant au net in au motif que sans ses manquements fautifs comme seule banque de BMIS, cette fraude n’aurait pas été possible. Cela dit, si le trustee ne peut exercer cette action en dommages-intérêts, elle sera ouverte aux créanciers mais ce qui sera plus difficile à faire valoir individuellement. Le trustee l’invoque pour justifier cette action quasi-collective. HSBC et JPMorganChase lui reprochent précisément d’intenter là des quasi Class Actions, ce qui ne lui est pas ouvert en droit des faillites. Update : ce jugement vient d’être rendu par la juge fédérale Colleen McMahon laquelle a tranché dans le même sens que le juge Rakoff dans HSBC, limitant les prétentions de Picard à $ 425 millions – sur les 19 milliards demandés !

6. UBS, attaquée dans une procédure qui vise également Access, Groupement Financier et Luxalpha, demande également à la Juge McMahon de limiter les prétentions du trustee comme dans HSBC. Picard a lui au contraire renforcé son action en soutenant un point que d’autres investisseurs font valoir contre des banques dépositaires dans d’autres procédures, soit qu’UBS a caché aux investisseurs qu’en tant que dépositaire, elle avait recours à BMIS en tant que sous-dépositaire (cf. ce blog). Update : ce jugement vient d’être rendu et la juge McMahon a tranché dans le même sens que le juge Rakoff dans HSBC, limitant les prétentions de Picard à $ 1 milliard sur les deux demandés.

7. Après avoir obtenu comme HSBC le dismissal des Common Law claims du trustee, Sonja Kohn, UniCredit et autres demandent au juge Rakoff le dismissal des prétentions du trustee fondées sur le Rico Act américain. Picard estime que leur activité est une organisation criminelle qui avait pour but de canaliser des fonds d’investisseurs escroqués chez Madoff moyennant des gains illégitimes importants. Il avait initialement réclamé USD 19,6 milliards soit son estimation précédente du net in. Montant qu’il a triplé à USD 59 milliards par application des triple damages du Rico Act. Les défendeurs font valoir que le Rico Act n’a pas d’application extra-territoriale. Or 49 des 57 d’entre-eux sont hors des Etats-Unis. Picard rétorque que la fraude a son centre de gravité aux Etats-Unis puisque c’est là que BMIS a perpétré la fraude.

8. La décision la plus importante, avec celle dans HSBC de refuser au trustee la poursuite des ordinary Common law tort claims, est celle qui vient d’être rendue dans l’affaire Katz & Wilpon dite des « Mets ». Le même juge Rakoff vient de limiter considérablement le clawback par jugement du 27 septembre. Les propriétaires de l’équipe de baseball des Mets ont bénéficié pendant des années de profits généreux et irréalistes de la part de Madoff – qui ont ainsi financé l’équipe avec l’argent escroqué aux autres investisseurs. Le trustee leur réclamait donc USD 1 milliard – ramenés à USD 386 millions par ce jugement. En limitant le clawback, il est donc susceptible d’influencer tous les autres clawbacks et par là les recouvrements qui constitueront le dividende de l’ensemble des lésés. Le juge Rakoff n’a ainsi conservé que le clawback pour « fraude », c’est-à-dire dépendant de la bonne foi du bénéficiaire, sur deux ans.

Des considérations de droit des marchés et valeurs mobilières limitent en effet celles du droit de la faillite, et protègent les investisseurs dès lors que BMIS était un broker enregistré pour les paiements qu’ils reçoivent de leur broker. Seul le clawback de sur deux ans fondé sur une « fraude » peut être invoqué par la masse en faillite de BMIS. Le clawback automatique sur la période de 90 jours hors de toute considération de bonne ou mauvaise foi, et le clawback fondé sur la constructive fraud, sont inapplicables du fait du SIPA. Sur les fraudulent transfers dont le jugement maintient l’exigibilité du clawback, tous les remboursements par Madoff dans les deux ans ont été fait avec une intention criminelle de sa part. La notion de contrepartie intervient cependant. Sauf mauvaise foi, le capital investi (« net in ») est une contrepartie (« consideration ») protégée et que l’investisseur n’a pas à rendre s’il l’a retiré. En revanche, les profits illicites peuvent être récupérés par le trustee hors toute bonne ou mauvaise foi puisqu’il n’y pas de contrepartie. Le jugement limite donc le clawback aux seuls profits illicites et sur deux ans.

La mauvaise foi nécessite-t-elle que l’investisseur ait su pour sûr que Madoff escroquait ses clients ? Une willful blindness peut pour le jugement constituer une telle mauvaise foi selon les circonstances. L’investisseur dans des valeurs mobilières auprès d’un broker n’a toutefois pas de devoir légal d’enquêter sur son broker même en présence d’éléments suspects. Le défaut de due diligence ne vaut donc pas en tant que tel mauvaise foi. Ce jugement ne tranche pas la question de la répartition du fardeau de la preuve de la bonne ou de la mauvaise foi mais en fixe plus ou moins le standard.

Enfin, au-delà du clawback, le jugement tranche brièvement un point relatif aux productions dans la faillite. Le trustee visait à écarter la production de créances lorsque les parties concernées étaient elles-mêmes poursuivies en clawback pour des fraudulent transfers. Ces créances ne peuvent pas être écartées mais peuvent être subordonnées moyennant la preuve par le trustee que le créancier concerné a investi dans BMIS en willful blindness ou en conscience de la fraude.

Si BMIS était un broker enregistré, cette protection accordée aux investisseurs par le SIPA doit-elle vraiment s’appliquer dès lors qu’il n’y a jamais eu la moindre transaction sur valeurs mobilières dans le cadre de sa fraude Ponzi ? Les retraits par les investisseurs n’étaient pas davantage le règlement d’opérations sur valeurs mobilières. Et un autre juge civil, Kimba M. Wood, a tranché en sens inverse précisément pour ces raisons dans une autre des procédures Madoff. Ces questions seront donc réglées en appel, le trustee contestant vigoureusement le jugement et faisant valoir que cette décision protège des retraits et des profits effectués par certains avec l’argent escroqué aux autres.

10. En termes de chiffres résultant des jugements qui précèdent sur ces points de principe, Picard indique que le jugement « Mets » le priverait du clawback de $ 2,6 milliards de profits fictifs, de $ 8,3 milliards de capital retiré de mauvaise foi, et de $ 160 millions de preference claims pour la période de 90 jours sujettes à clawback automatique. Soit un impact potentiel total rien que sur les clawbacks de $ 11,1 milliards. S’il ne peut ainsi récupérer, en intégralité ce qui est douteux, que les $ 2,2 milliards de profits fictifs sujets à clawback dans les deux ans, cela porterait ses rentrées à environ $ 13 milliards avec ce qu’il a déjà en caisse, soit un dividende de l’ordre de 75% (cf. Bloomberg). Mais hors tout dommages-intérêts dont le sort n’est pas encore réglé non plus. Et trop tôt donc pour en tirer des conclusions plus précises ou définitive.

9. S’agissant du clawback toujours mais envers des secondary transferees, que le trustee peut poursuivre s’il les connaît et il l’a fait avec une certain nombre de banques, notamment à Genève, étant les nominees de leurs clients ayant acquis des fonds Madoff, une cour des British Virgin Islands vient de juger que le fonds Fairfax Sentry en liquidation ne peut pas pour sa part, même s’il est lui-même recherché en clawback primaire par Picard, exercer/répercuter de clawback contre des investisseurs ayant rédempté leurs parts de fonds. La Eastern Caribbean Supreme Court a jugé le 16 septembre 2011 que le fait qu’il soit apparu subséquemment que BMIS était un Ponzi scheme ne peut vicier la rédemption de parts de fonds par des investisseurs. Un titre juridique pour ce faire n’existe pas. Il n’est pas possible au fonds de faire valoir une prétention sur le prix qu’il a payé pour le rachat des parts des investisseurs ayant rédempté, simplement parce que la valeur de leurs parts a été calculée sur la base d’une information qui s’est ensuite révélée fausse pour des raisons sans lien avec ceux-ci. Il y a une certaine justesse dans ce raisonnement – mais lequel laisse ces investisseurs avec des rédemptions constituant les fonds escroqués aux autres. Ce point perd toutefois dans le court terme de l’importance vu le jugement « Mets ».

10. Au Luxembourg enfin, un jugement de première instance dans Luxalpha avait nié la qualité pour agir des porteurs de parts du fonds – cette qualité n’appartenant (en droit luxembourgeois) qu’au fonds lui-même, soit en l’occurrence ses liquidateurs. Les porteurs de parts lésés individuels ne pouvaient donc faire valoir un dommage qui n’était qu’indirect dans la théorie classique du droit des sociétés, le dommage direct étant subi par le fonds. Si le fonds n’est pas une personne morale luxembourgeoise, cette question doit être déterminée selon le droit de son siège. En droit des BVI, il semble apparaître que les actionnaires/investisseurs disposent d’un tel droit direct contre un tiers ayant causé un dommage au fonds. Il semble que cette position, qui serait fondée sur un avis de droit des BVI, soit prochainement invoquée dans une procédure judiciaire contre HSBC et Ernst & Young au Luxembourg en lien avec le fonds Hermes.

Ouf ! C’est tout pour aujourd’hui !

2 réponses à “ Madoff – point de situation : L’encre de la bouteille s’épaissit, les rapports de force entre le trustee Picard et les défendeurs visés par ses actions s’équilibrent, et les nouvelles prévisions de dividende ”

  1. […] de droit des faillites, et limité également drastiquement le cadre des créances en clawback (cf. ce blog). Il l’est également pour avoir déjà retoqué la SEC en 2009 relativement à un settlement […]

  2. […] clarté sur la manière dont elle sera résolue, il est temps de refaire un point (cf. le dernier ici). Dans les procédures principales, soit celles du trustee Picard contre plusieurs deep pockets, […]

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