Attac c./ Nestlé, Ogoni v. Shell et News of the World : Qu’est-ce que ces trois affaires ont en commun ?

Posté le 22 août, 2009 dans actu / news

Elles ont en commun que dans les trois cas, elles représentent la face noire du capitalisme, le franchissement délibéré de lignes jaunes évidentes à des fins directes ou ultimes de profit. Que dans les trois cas des violations du droit sont commises non par des organisations criminelles ou des rogue traders, mais par des acteurs légitimes de l’économie. Et que dans les trois cas la réponse et la correction sont judiciaires – ce qui est juste mais surtout rassurant sur l’Etat de droit compte tenu du rapport de force inégal entre la victime et l’auteur. Mais il y a des mais et l’analyse doit être poussée un peu plus loin. Dans Ogoni v. Shell, cette dernière n’a admis sa responsabilité et de verser une indemnité de 15 millions de $ qu’à la veille d’une audience devant un tribunal de New York, après dix ans de combat de la part des minorités victimes concernées. Ce n’est donc bien que sous la pression judiciaire, sous la pression de la crainte de l’instruction publique de ses turpitudes au Nigéria, que Shell a transigé. Ce qui frappe est qu’une multinationale, acteur par définition de l’économie licite, n’admette pas spontanément ses fautes. Il y a une schizophrénie malsaine mais très capitaliste à se promouvoir comme un acteur vert et responsable à sa clientèle occidentale à la pompe, par pur marketing, mais en conservant cyniquement des comportements contraires sur le terrain. Que le consommateur ne soit pas dupe est une nécessité – au-delà de la réponse judiciaire envers les victimes.

Dans l’affaire Attac/Nestlé, qui implique également Securitas, des actions civiles et pénales sont pendantes. Le pénal semble mal parti pour des raisons principalement de prescription – ce qui n’absout donc pas. Au civil nous verrons. La réponse sera donc judiciaire mais deux choses frappent. Les médias et la populations ne s’offusquent pas outre mesure, ou seulement modérément, ce qui traduit, illustre, un affaissement de la conscience de l’importance des droits civils en cause. C’est troublant. Pour leur part, ni Nestlé ni Securitas n’ont admis leur faute et communiqué un message clair et fort en ce sens. Nestlé se borne à se « féliciter » qu’aucune qualification pénale n’ait été retenue, et qu’elle n’ait donc pas violé le droit pénal (ouf, formidable !), tout en précisant de manière éllyptique et du bout des lèvres que ces méthodes « ne sont pas celles de sa conduite en affaires ». Ces positions ambigües sont presque aussi graves que les actes eux-mêmes, mais révélatrices à la fois. Elles sont l’illustration que des acteurs en principe également légitimes de l’économie i) ne sont pas capables de reconnaître une violation claire du droit et ii) soit ne la perçoivent donc finalement pas ou ne regrettent pas leurs actes, mêmes illicites, en tant et parce qu’ils servaient leurs intérêts capitalistiques bien sentis.

L’affaire News of the World est quant à elle le fond de la poubelle. Les tabloïds anglais plus encore qu’ailleurs n’ont jamais reculé devant des vilénies pour obtenir des informations qui constituent des violations de la sphère privée d’autrui. La réponse judiciaire est à venir (il y avait eu deux condamnations pénales à quatre et six mois de prison en 2007 pour des faits similaires) mais ce qui frappe ici est qu’il est connu, patent, pour tout journaliste, éditeur, rédacteur en chef, que procéder à des écoutes téléphoniques est contraire au droit, civil, pénal, et à l’éthique, à la déontologie professionnelle et à la morale. Un tel comportement ne peut jamais être justifié – et que passe-t-il donc par la tête d’un acteur légitime de l’économie lorsqu’il accomplit de tels actes illicites dans le cadre de son activité commerciale à des fins exclusivement lucratives ? La laideur morale est présente dans toute population donnée mais lorsqu’elle sert des fins commerciales, capitalistiques, l’accountability publique est particulièrement nécessaire – et c’est l’un des rôles de la justice.

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