
Débat sur les plus hauts salaires : Un manager à 40 millions est-il meilleur qu’un manager à 4 millions ?
La discussion sur les méga-salaires date d’avant la crise. Elle est née de plusieurs facteurs connexes : La question de la corrélation, ou de son absence, entre les performances d’une entreprise et la qualité du CEO, de son management ou de son conseil. Le fait que leur rémunération n’était pas décidée par le propriétaire de l’entreprise, soit les actionnaires, mais en vase clos et opaque par le management ou le conseil eux-mêmes. Le caractère astronomique des montants ainsi atteints. Leur corollaire naturel de l’aspect moral et éthique. Et la question de droit des sociétés, mais en réalité sociétale, de savoir dans quelle proportion les produits et bénéfices du travail et de son outil doivent être répartis entre l’actionnariat et les salariés. Depuis l’été 2007, le débat fait plus particulièrement rage mais s’est un peu éclaté. Il s’est détourné un temps dans le haro sur les parachutes, lequel s’est fait vif et simpliste. Il s’est passablement porté sur l’aspect moral et social – comment peut-on justifier, en étant également salarié, gagner mille fois plus que le plus bas salaire de l’entreprise ? C’est l’aspect de droit des sociétés sur qui doit décider des rémunérations qui occupe enfin actuellement l’essentiel du débat. Toutes ces questions, prises ensemble ou séparément, sont intéressantes et sujettes à débat, mais escamotent une vraie question qui en demeure pourtant et étonnamment absente : un manager à 20 ou 40 millions est-il nécessaire ou meilleur qu’un manager à 2 ou 4 millions ?
M. Vasella, interviewé par la TSR à Davos, n’a visiblement pas d’états d’âmes. Il « coûte » le prix du marché pour son poste, et sa rémunération a « dûment » été fixée par un organe social habilité à le faire. Or ce sont deux questions cruciales. Sur le second point, il a fallu des années pour que l’on admette finalement que la démocratie actionnariale n’existait pas à cet égard, et que c’était anormal. Le débat fait rage sur les modalités que le législateur apportera au problème – mais il ne faut pas oublier l’immense résistance passive et même parfois active dont les dirigeants des sociétés ont fait montre pour contrer cette évolution. Tout y est passé, de l’argument que l’actionnaire ne comprend rien et n’a pas les éléments pour juger, que l’administration a une meilleure perception de l’entreprise et de l’intérêt de l’entreprise, qu’il faudrait le cas échéant ne voter que sur des montants globaux, que l’actionnaire n’est pas privé de la voix au chapitre puisqu’il élit le conseil et le « charge » de veiller à la bonne marche des affaires, dont les rémunérations du haut management ne sont qu’un aspect. Tout cela n’était rien moins que faux et de la défense de pré carré et de privilèges. C’était d’autant plus scandaleux que les dirigeants tablaient sans vergogne sur l’inefficacité de la représentation aux assemblées générales – elle-même due à plusieurs facteurs. Une fois de plus le balancier ira peut-être trop loin dans l’autre sens, mais une fois de plus en réaction à l’incapacité des acteurs économiques concernés à régler eux-mêmes le problème. Certaines distributions ont même frisé le pénal (l’on se souvient de l’affaire ABB/Barnevik) – le Procureur général de New York s’intéressant même actuellement à l’attribution et l’accélération des bonus 2008 au sein de neuf institutions financières dont Merril, M. Thain et les prétentions de $ 10 millions que celui-ci avait formulées pour son bonus 2008 dans les conditions de champ de mines que l’on sait. La vérité est que si les actionnaires veulent se laisser convaincre par le management, ce qui ne saurait être exclu ni nécessairement illégitime, ou prendre le risque d’un management moins grassement payé et en assumer d’éventuelles conséquences dans la durée, c’est leur affaire mais c’est bien la leur. Le long combat de groupes militants comme Ethos est l’illustration de ce qui précède. Combien pourtant ont-ils été raillés et combattus ces dernières années – alors que la vision était dans leur camp et certainement pas dans celui des majors concernées.
Mais la vraie question reste inabordée : un manager à 40 millions est-il nécessaire et/ou meilleur qu’un manager à 4 millions, par hypothèse bardé des mêmes diplômes ? M. Vasella répond par le « prix » du marché, du secteur. Est-ce une bonne réponse ? Y a-t-il vraiment un prix du « marché » et quelle est sa légitimité intrinsèque en termes de corrélation entre le prix et la qualité – a fortiori si toutes les entreprises cooptent leurs salaires ? Certains m’avancent des aspects psychologiques mais réels : un manager à 40 millions n’est probablement pas meilleur qu’un manager à 4 millions, mais l’entreprise a besoin d’un « nom », d’un CV, à la fois en termes de dynamique interne et pour son cours de bourse. Et un nom coûte cher, surtout s’il faut le débaucher d’un poste où il est déjà cher payé. M. Marchione semble avoir fait des merveilles à la SGS et chez Fiat. Il fait à l’inverse partie de l’équipe du désastre à l’UBS. D’autres m’avancent que « les études » démontrent que les sociétés dans lesquelles le management est payé le prix du marché, c’est-à-dire cher, sont plus prospères, et dès lors leur shareholder value plus élevée. Est-ce vrai ? D’autres ou les mêmes disent que de soustraire la rémunération des conditions de marché, soit l’offre et de la demande, serait très mauvais et par rapport à la définition même de l’économie de marché. Les brider serait ainsi se tirer dans le pied en termes de compétitivité et d’efficacité. Peut-être – mais Obama, en bridant les salaires du haut management à 500’000 $ tant qu’elles sont sous perfusion, tire-t-il alors dans le pied des entreprises que l’Etat vise précisément sauver ? Certains citent encore intuitivement Federer – mais la corrélation au résultat est plus tangible et il n’est le salarié de personne. J’ai encore entendu que l’entreprise cotée ne peut prendre le risque d’un manager bon marché car en cas d’échec même non directement imputable au management, ce choix sera invoqué et perçu comme une erreur par le marché. Je n’ai évidemment pas abordé tous les aspects d’une problématique complexe en trois paragraphes de blog – mais la question reste assurément intacte : un manager à 40 millions est-il meilleur qu’un manager 4 millions ? Anyone ?
Bonjour,
De mon point de vue, la question n’est pas forcément de savoir combien, mais comment ces dirigeants touchent leurs salaires. Un élément est à retenir de la crise actuelle : Un manager peut fragiliser une société durant cinq années de bonne conjoncture, pendant lesquelles son salaire sera à la hauteur des revenus de celle-ci, puis être obligé de la quitter après quelques assemblées générales houleuses, son pactole en poche. Une telle situation va à l’encontre de toute volonté d’une société de rémunérer un dirigeant « au mérite ».
Le système de rémunération se doit donc d’être compétitif et dans les standards du marché, cohérent avec les responsabilités que le poste implique et impliquant de telles responsabilités, et pour finir, organisé de façon à favoriser un développement durable et sain de l’entreprise. On pourrait pour cela envisager un paiement du salaire d’une année en tranches de 20% sur 5 ans, chaque tranche pouvant être ajustée aux résultats de l’année en cours, par exemple.
Pour ce qui est du rendement du manager, je suppose que chaque personne est sensibles à diverses motivations et la question reste donc ouverte, mais je m’en tiendrai tout de même à cette phrase d’Ernest Hemingway : « Hunger is a good discipline »…
[…] à quatre, dix-sept ou septante-huit millions est-il meilleur qu’un manager à deux millions (cf. ce blog du 11 février 2009) ? Du coup et de même, la polémique sur la question de savoir s’il doit y avoir des normes […]