France : La mort du juge d’instruction. Genève : La mort du jury et… la récurrente faiblesse de l’OdA

Posté le 23 janvier, 2009 dans avocats / advocacy, droit / law

Le Président Sarkozy a annoncé il y a quelques jours « la mort du juge d’instruction », soit la suppression de cette fonction dans l’appareil judiciaire, au profit d’un système accusatoire réputé plus moderne dans lequel l’enquête serait confiée au Parquet, et les décisions à un juge ou à une instance collégiale. Comme en Suisse où cela sera le cas avec l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale suisse ?  S’il y a certaines similitudes entre les deux projets vu de loin, l’origine et les motifs de la réforme sont largement différents et Sarkozy ne s’inspire pas de ce que fait la Suisse. En Suisse, une unification de la procédure pénale devenait indispensable. Il n’était plus viable de changer de loi et de système tous les cinquante kilomètres, dans la mise en œuvre d’un droit pénal matériel fédéral et à l’heure du village global. Ce d’autant plus que les standards en termes de droit de la défense ont été largement unifiés par la CEDH. C’est du coup qu’il a fallu choisir entre le système du juge d’instruction et celui du Ministère public – au terme d’une très longue consultation « à la suisse » puisque mise en chantier en… 1994. En France, la réforme sera rapide et a d’autres origines, liées aux particularités du système français, ses réminiscences féodales, plusieurs réformes conceptuellement hybrides intervenues ces dernières vingt années et, il faut bien le dire, une série de problèmes et de défaillances de l’ensemble du système dont la plus connue est l’affaire d’Outreau.

En France en effet, le juge d’instruction était à l’origine indépendant de l’accusation, enquêteur à charge et à décharge, sans faveur ni défaveur envers le faible ou le puissant. Principe noble sur le papier, mais dont la réalité a prouvé qu’il avait ses limites. Le juge était devenu dans la réalité davantage un enquêteur à charge aux pouvoirs illimités, indépendant du Parquet mais rarement réellement contrôlé par les juridictions de l’instruction. La poursuite incombe institutionnellement en premier lieu au Parquet. C’est précisément parce que le Parquet dépendait hiérarchiquement du pouvoir exécutif, lien avec le Prince réminiscent de la féodalité, et effectivement problématique philosophiquement, et du fait de l’enterrement politique ou résultant d’influences illicites, de certains dossiers, que diverses réformes ont accru le pouvoir du juge d’instruction – mais par là concourru au problème. Le pouvoir de renvoyer en jugement ou de prononcer un non-lieu ont ainsi été transférés au juge d’instruction pour le soustraire au Parquet. La faculté pour le juge d’être saisi directement par une partie civile procédait de la même idée de rendre la poursuite indpendante du Parquet et de ses connivences. Certains juges en ont abusé, aveuglés par l’objectif en soi légitime de poursuivre des délinquants même puissants, mais s’affranchissant grâce à leur liberté du droit et des exigences strictes et fondamentales de prévention. L’absence de contrôle réel par les juridictions d’appel de l’instruction, largement par esprit de corps, et un mépris parfois caractérisé de la défense et des droits de la défense, ont achevé de pervertir un système qui a donc atteint ses limites. Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale française sur l’affaire d’Outreau est ainsi un document édifiant (et absolument passionnant) sur les dérives et défauts du système – et au crédit du pouvoir législatif de les avoir traités.

A Genève, l’on ne pleure pas le juge d’instruction, également enterré, mais le jury populaire, lequel fera également les frais de la réforme de la procédure pénale. Arrivant comme la grêle après les vendanges, l’Ordre des Avocats, alors que l’avant-projet date de 2001, le Message de 2005 et le texte soumis à référendum d’octobre 2007, s’est soudainement rebellé contre la révision de l’organisation judiciaire cantonale commandée par la réforme, en tant qu’elle condamne le jury populaire. S’il est normal que l’Ordre ait été reçu par la Commission parlementaire saisie de ce chantier, il l’est moins qu’il ne l’ait demandé que tardivement, et n’ait dès lors été reçu qu’à « titre exceptionnel ». Dans une interview très sévère dans le Temps du 10 décembre 2008 (il-faut-laisser-le-jury-se-retirer-la-tete-haute), le député libéral et avocat Jornot relève que la première intervention était bien peu convaincue, et la seconde plus contestataire mais inconstructive. Aucun modèle alternatif ni solutions concrètes n’ont été proposés. La position de l’OdA sur le fond opposait le jury populaire et souverain aux magistrats – par définition sujets à caution s’agissant des crimes les plus graves, mais pourtant chargés de l’immense majorité des jugements pénaux. Bref un argument faible et mal senti, un coup d’épée dans l’eau. Ce baroud est peut-être honorable, sympathique et nostalgique dans ses motifs, et l’abandon du jury pose de vraies questions. Il semble toutefois avoir été mené en étant cruellement dénué de perspectives et de conviction au plan politique. Et un exemple de plus de ce que l’OdA a toujours une guerre de retard et n’a pas le tiers du quart du poids politique et moral qui devrait être le sien.

Mes critiques sur ce blog du 8 janvier 2008 sur le fonctionnement dépassé et en vase clos, et sur la large inefficacité du Conseil de l’Ordre, demeurent hélas d’une parfaite actualité à la faveur de cet exemple. De son absence du débat sur les sociétés d’avocats, avec ses pour et ses contre et ses enjeux concrets, à son absence de celui sur la réforme de l’organisation judiciaire pénale, un site internet figé dépourvu de toute information vivante, utile et actualisée sur la profession et ses évolutions, l’Ordre expédie les affaires courantes et se complaît dans sa désuétude et son absence de vision, de visibilité et de crédibilité politique. A-t-il consulté ses membres sur la position à tenir en matière de sociétés d’avocat ? Non. Les a-t-il assistés dans la réflexion ou véritablement informés ? Non. S’engage-t-il ou consulte-t-il les membres sur les deux seuls sujets qui constituent un véritable enjeu d’organisation judiciaire cantonale dans le cadre de l’unification de la procédure civile, à savoir la création d’un tribunal de commerce et une vraie réforme des Prud’Hommes ? Pas davantage. Tire-t-il des enseignements de la dernière enquête de satisfaction des services judiciaires et présente-t-il des conclusions et requêtes précises au pouvoir judiciaire ? Pas que l’on sache. Il y aura certes la réforme du stage – absolument indispensable mais laquelle est en chantier depuis… 2003, soit trois législatures et aura donc pris sept ans ! Le jury semble être mort. Il n’est apparemment pas le seul.

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