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Internet : Sublimation ou déconstruction du savoir – et du savoir juridique ?

Internet et les réseaux ont révolutionné la vie des juristes également, en leur apportant l’agrégation d’une matière autrefois dispersée, sur papier, voire confinée ou inaccessible, et des outils démultipliant facilité et rapidité de recherche de manière presque infinie. Identifier la matière n’est plus, ou bien moins, une partie de l’entreprise – ce qui doit en principe laisser la part belle à la réflexion, soit son traitement et son usage. Tout bénéfice donc en principe pour le juriste, l’avocat, le juge, le professeur même (cf. ce blog « La jurisprudence selon Google [1] » et sur Google Scholar [2]). Bénéficier de ce progrès – certain – nécessite néanmoins d’être conscient des défauts et limites. Et il y en a qui sont plus généralement ceux du net et des réseaux, traités par un excellent article du New York Times sous le titre parlant de « Texts Without Contexts [3] ».  Ces dangers, traités eux-aussi au gré… d’une synthèse et compilation, sonnent fort : « digital forest of mediocrity », « substituting ill-informed speculation for genuine expertise », « fragmentation » and « rising tide » of data, ou « data smog », tout cela constituant une « deconstruction » du savoir par la quantité et le désordre. Et tout cela affectant à son tour la qualité et la méthodologie de la recherche et, in fine, par substitution, la qualité de la réflexion – remplacée par la référence et la citation. Idem de la notion de « cyberbalkanisation » : chacun ne lit, et ne publie, que les thèses auxquelles il adhère, s’isolant par-là et cette isolation étant facteur d’intolérance, « nicheification » contre pluralisme – et l’un des dangers des médias et news « à la carte » d’ailleurs. Les risques pour le juriste de ces spectres plus généraux ?

La référence sans le contexte justement. Trouver des références, de la matière, apparemment parfaitement ciblées, soutenant une thèse – mais en décorrélation avec les principes généraux du droit, avec l’ordre juridique, et ses ensembles et articulations. Au même titre que le non-juriste peut aujourd’hui en plaçant son problème sur Google tomber sur des éléments de réponse de jurisprudence, doctrine juridique, travaux législatifs, etc., lesquels sembleront appropriés, seront peut-être justes, mais abstraits de la globalité – nécessaire – du raisonnement. Ce danger constitue similairement un challenge pour l’enseignement du droit. Avant Internet, le savoir était balisé, canalisé, sélectionné. L’étudiant avait accès à ce qui lui était ainsi transmis, avec choix et une hiérarchie des sources, minoritaires, dissidentes ou controversées également. Aujourd’hui l’étudiant reçoit toujours ce qui lui est dispensé – mais avec simultanément accès à un terrain infini, avec ses autres ressources – et écueils. Le risque pour l’étudiant juriste de demain est de devenir un bon chercheur de réponses justes, mais négligeant du coup la compréhension du système, des principes et des valeurs fondamentales du droit. Le risque est l’invocation de références isolées, balkanisées, déconstruites, par une moins bonne connaissance du système et des principes – puisque la réponse probablement, mécaniquement ou statistiquement juste, est accessible sans effort. Or le droit ne se résout jamais à une application mécanique de la norme, mais ressortit précisément à sa justesse et à son économie au sein de l’ensemble. Avec pour corollaire la nécessité que les facultés de droit veillent à ne pas devenir un simple technicum juridique, à ne pas laisser les juristes de demain sur cette pente savonneuse. A suivre – avec recul !