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Incroyable affaire Madoff : « Crisis unveil frauds » disait Galbraith en 54 de la crise de 29

Incrédulité, colère, désespoir sont les sentiments qu’inspire l’incroyable affaire Madoff quelque 72 heures après son éclatement. Qu’a-t-il volé, qu’a-t-il perdu, que reste-t-il ? Personne ne le sait – sinon que la justice américaine et la SEC ont gelé tout ce qui peut l’être. Trop tôt pour dire s’il y aura forced bankruptcy, bankruptcy/receivership filings, des securities class actions, des revendications directes de soldes individualisés ou autre. Ni le temps que cela prendra avant ne serait-ce que de savoir ce qu’il reste de positions précises. Viendra enfin la longue phase des actions en responsabilité, contre les organes, les réviseurs, les dépositaires, etc. soit toutes les personnes ayant eu un devoir de surveillance et ayant le cas échéant failli. Cette phase peut sembler longue et vaine mais elle permet fréquemment d’augmenter significativement le dividende.  De nombreuses procédures pénales ont déjà été ouvertes aux Etats-Unis dans le cadre de cette crise (cf. ce blog du 12 octobre 2008 [1]) en lien avec essentiellement des abus de marchés. Quelques unes pour des fraudes classiques – mais pas assez importantes to hit world news. Pour revenir à Madoff, quelques clés de lecture. Comme ma femme le rappelait il y a un mois et demi en la relisant, Galbraith avait, dans son analyse de 1954 de la crise de 1929, relevé que les crises faisaient ressortir les fraudes commises en période de haute conjoncture (J. K. Galbraith, La crise économique de 1929 – anatomie d’une catastrophe financière, trad. Payot Paris, 1961).

La fraude financière est un crime particulier en ce sens qu’il s’écoule un temps donné entre la commission et la découverte. Pendant cette période, la victime ne ressent aucune perte et ne souffre aucune diminution de son bien-être. Il existe en permanence une masse donnée de fraudes non-découvertes et que seules des aléas – ou des crises – révèleront. Lors des cycles favorables, les fraudes restent ignorées car les propriétaires d’actifs sont peu attentifs. Ce relâchement est exploité par les fraudeurs. En périodes de hausse, les fraudeurs fraudent par obsession de ne pas la rater, d’en profiter également. En période de baisse, les propriétaires augmentent les contrôles, leur vigilance et le taux de découverte augmente. La crise de 29 a ainsi progressivement laissé apparaître de nombreuses fraudes en plus des pertes dues aux baisses des marchés, fraudes considérables en valeur absolue.

En l’occurrence, Madoff a selon ses dires commis un Ponzi scheme. C’est un schéma classique et vieux comme la finance dans lequel le gérant sert des intérêts élevés et attractifs que sa gestion ne dégage pas réellement. Il sert les intérêts avec le capital investi qu’il grignote petit à petit. Simultanément il commet des camouflages et des faux dans le reporting aux clients, et prend de plus en plus de risques pour se refaire qui aggravent et accélèrent les pertes dans la majorité des cas. Fréquemment il y a en outre de l’enrichissement personnel. Souvent également, ce sont des demandes importantes de remboursement, causées par une crise ou un aléa (ce fut le cas après le 11 septembre de sociétés ayant eu leurs locaux dans les tours jumelles) qui entraînent la découverte du pot-aux-roses. 

Autre aspect qui interpelle en l’état : comment une personne peut-elle commettre apparemment seule, dans un environnement en principe hautement régulé, les manipulations et camouflages nécessaires pour « tenir » plusieurs années ? La concentration de pouvoirs en mains uniques est un facteur de risque connu de longue date. Une « license to steal ». Une étude de KPMG publiée il y a quelques années avait mis en lumière que le profil type du fraudeur économique n’est pas, comme trop souvent crû intuitivement, le jeune cadre fou qui dérape. C’est au contraire un senior executive qui arrive à un niveau où il n’est plus réellement contrôlé, qui dispose seul de pouvoirs ou de la faculté de déjouer les contrôles, le cas échéant avec l’assistance non-consciente d’un staff soumis. Le fraudeur pense dans un premier temps ne pas mal faire ou ne pas commettre réellement un acte illicite – puisqu’il entretient l’espoir de se refaire sur les marchés en accentuant le levier, ce qu’il sait possible. Puis au fur et à mesure des pertes, c’est la fuite en avant, la survie et les camouflages/replâtrages/compensations en attendant l’inéluctable. Ces ingrédients se retrouvent de prime abord en l’espèce. La seule question qui hélas trouve rapidement une réponse est-celle de savoir comment il est possible de perdre de tels montants – et c’est-là une différence avec la crise de 1929 : le levier. Etre investi « à contre » avec la volatilité et les baisses majeures des derniers mois et même semestres peut rapidement entraîner des pertes massives – démultipliées alors d’autant en cas de levier.