Antonio Hodgers a eu bien raison de remettre sur le tapis, comme cela y revient d’ailleurs périodiquement, la question permanente et évolutive des langues suisses et de la cohésion nationale qui y est liée. Les réactions nombreuses en attestent – comme de l’aspect très émotionnel du sujet, ce qui est bien, démontre qu’il importe aux Suisses. Un point me frappe une fois de plus dans cette discussion : l’amour passionné et légitime des Bourbines [1] pour le dialecte, et leur désamour symétrique et réaffirmé pour le Hochdeutsch. Langue qu’un grand nombre maîtrise apparemment mal, qui est considérée comme une langue étrangère, et même l’un des facteurs de leur réticence envers l’Union Européenne selon une étude d’il y a quelques années. Et que les étrangers immigrés n’apprennent même pas – mais le dialecte pour se débrouiller et s’intégrer. Or comme l’allemand est pourtant la langue nationale des institutions, celle du débat politique fédéral, celle dans laquelle les lois sont rédigées, ce clivage-là n’est-il au fond pas plus inquiétant que celui entre le dialecte et le français et l’italien ? Est-ce à dire que la Suisse juridique et administrative vit et pratique finalement dans une langue étrangère et honnie – à tout le moins à l’écrit ? Qu’elle constitue la langue d’une élite institutionnelle et administrative – dont le peuple est en réalité éloigné mais qui le régit pourtant ? La question suivante coule de source : pourquoi ne pas alors aller au bout du raisonnement et conserver l’allemand tout court ?
Simplement parce qu’il est la langue linguistiquement la plus proche du Suisse-allemand ? Par défaut puisque les lois ne peuvent pas être rédigées en dialecte ? Le pas suivant vient tout naturellement : pourquoi ne pas alors conserver comme seules langues nationales institutionnelles le français et l’italien ? Elles sont certes étrangères pour le Suisse-allemand mais i) qu’au moins les Romands et les Tessinois parlent, eux, et ii) peut-être pas plus étrangères finalement pour eux que l’allemand. Et pourquoi du coup ne pas enseigner à l’école le dialecte aux Romands et Tessinois, et le français ou l’italien aux Alémaniques ? Nous ferions d’une magnifique pierre deux coups : libérer les Alémaniques du Hochdeutsch et renforcer significativement la cohésion nationale par la maîtrise nécessaire de la langue de l’autre. Formidable, non ?