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Goldman Sachs CDO Abacus 2007-AC1 : Peut-être un véritable turning point en matière de produits structurés

L’affaire Goldman Sachs (Abacus 2007-AC1) est passionnante à plusieurs titres parce qu’elle constitue probablement un tournant dans certaines pratiques de marchés, ainsi qu’au plan juridique, réglementaire et judiciaire. Les opérateurs ne jurant par définition que par le marché aiment bien rappeler aux sociétés cotées que « si le marché pense qu’elles ont un problème, elles ont un problème ». Arroseur arrosé, il en va ainsi pour Goldman en l’occurrence si le public, la SEC, le Sénat etc. pensent qu’il y a là un problème. En l’occurrence, cette affaire a six composantes essentielles :

(1) Le fond du problème a trait à la portée de l’information que les opérateurs doivent révéler et à laquelle le marché a droit. C’est un des points centraux du fonctionnement des marchés depuis toujours. En l’occurrence, Goldman devait-elle révéler le fait qu’elle savait que le hedge-fund Paulson l’avait aidée dans le choix de certains des sous-jacents et pariait contre le produit de dette obligataire titrisée (CDO) Abacus 2007–AC1 ? Ce cas donné sur mille autres sera peut-être l’occasion pour la justice de ré-affiner les contours de l’information qui doit être révélée, par opposition à ce qui n’est qu’un fait de marché exploitable sans autres par l’émetteur.

(2) La faculté du marché de comprendre le produit, et son lien économique et mathématique avec des sous-jacents tangibles, est le second aspect. Un employé français de Goldman, Fabrice Tourre, dont les e-mails saisis ont fait le tour du monde, a décrit ces produits comme une pure masturbation intellectuelle, sans aucun sens, totalement conceptuels, hautement théoriques et dont la fixation d’un prix était virtuellement impossible. Alors que les marchés sont primairement une bourse de valeurs tangibles représentant des entreprises ou leurs dettes, faut-il fixer une limite à des dérivés composés n’ayant plus qu’un ancrage relatif ou infime avec la réalité des évolutions de marchés ? C’est une question réglementaire et législative.

(3) Pour certains opérateurs, le marché est composé en permanence de paris et de prises de risques inverses sinon adverses. Il n’y avait donc aucun problème à ce que Paulson parie contre ce produit. Ce qui est intéressant, distinctement du point de l’information, est que d’autres opérateurs se sont plaints de ce qu’elle était constitutive de fraude dans le chef de Goldman. Goldman se défend pour l’instant en invoquant le fait que le marché ne considérait pas le rôle de Paulson comme important en lien avec le produit – mais cette défense apparaît aujourd’hui limitée.

(4) Outre cette explication fumeuse, Goldman comprend très bien que le vent a tourné, qu’elle a un problème, et que nier par des déclarations fermes sinon fracassantes ne la sauvera pas ou plus. D’où désormais une défense de fond de court visant à faire traîner l’enquête pour ajouter cette difficulté à la SEC. L’enjeu est bien tel que Goldman le perçoit : faire la moindre concession reviendrait à s’exposer sur toutes les opérations similaires (CDO – Collateralized Debt Obligation) et il y en a eu des des milliers… C’est donc un réel dilemme du fait également que contrairement à « d’habitude », la SEC n’a pas offert de négocier avant d’ouvrir action.

(5) La SEC est en effet pour ce qui la concerne à une croisée des chemins pour plusieurs raisons internes et externes. Non seulement doit-elle redorer son blason suite aux affaires Madoff, Stanford, Merryll/BoA, Lehman, etc, mais encore doit-elle retourner la perception du public qu’elle n’ose finalement pas intervenir dans le cadre de certaines pratiques et de certains produits qu’elle ne maîtrise pas contre des opérateurs qui sont des géants profitables pour l’économie, leurs actionnaires et les recettes publiques. En d’autres termes qu’elle n’avait finalement pas le courage ni d’ambitions face à des cas difficiles ou problématiques. Apparemment, la nouvelle cheffe de la SEC a réintégré l’idée que l’agence protège avant tout le marché et les investisseurs – et non ses opérateurs. Il n’en demeure que la décision de poursuivre judiciairement n’a pour une fois pas été prise à l’unanimité.

(6) Dernier point, compte tenu de la nouvelle loi américaine sur la conservation obligatoire de tous les messages électroniques, l’enquête portera sur huit millions de documents ! C’est une illustration parfaite de la difficulté du rapport de la preuve aussi bien en matière civile que pénale dans la société actuelle de l’information. Les éléments déterminants ne se trouveront pas dans un ou quelques-uns de huit millions de documents. Ils se trouveront toujours dans les caractéristiques et les composantes de l’opération, et dans la subjectivité liée à la connaissance qu’avaient certains de faits ayant une influence sur l’opération de marché. Les capacités de traitement informatique par mots-clés permettent un tri plus rapide que par simple lecture. Il n’en demeure pas moins qu’il va devenir de plus en plus problématique pour la justice d’être confrontée à des montagnes de documents dont l’essentiel est sans pertinence dans des affaires qui doivent impérativement être ramenées à des éléments simples et tangibles pour pouvoir être tranchées. Pour parler clair, il est probablement possible de trancher valablement quant au caractère licite ou illicite de cette opération sur la base de ce qui est déjà sorti, et notamment par les témoignages, plutôt qu’au travers de l’examen impossible de huit millions de documents.