Tous les journalistes russes, en exil ou non, le disent : la guerre n’est possible que parce qu’il n’y a plus de liberté d’informer. Ce dont procédait déjà l’annihilement du débat, lui-même nécessaire à la libre formation de l’opinion. La propagande devient le seul message, ou auquel s’accrocher (cf. la présentation de la guerre à la télévision russe analysée par le New York Times [1]). Ce à quoi s’ajoute que les libertés d’opinion et d’expression sont nécessaires à l’État de droit, à la démocratie, et incompatibles avec la corruption et la prévarication – qu’elles exposent. La propagande existe aussi là où l’expression et l’information sont libres, mais qui permettent de la combattre. Ces libertés d’opinion et d’expression permettent aussi d’exprimer des choses, faits et nouvelles fausses, avec le problème de leur large diffusion et de leur amplification automatique par les algorithmes des réseaux. D’un côté du monde, l’opinion ne peut pas se former parce que les libertés n’existent pas. De l’autre, l’opinion peut se retrouver mal formée – parce qu’elles existent.
La démocratie américaine est mise à l’épreuve par la consécration de ces libertés – au point de voir arriver un mal nommé, sinon malvenu, Disinformation Governance Board [2]. La démocratie russe pour sa part n’existe plus – si tant est qu’elle ait jamais existé. Dans une démocratie libre et transparente, la manipulation peut être exposée (cf. l’édifiante série du New York Times [3] sur Fox et Tucker Carlson). Fox et Carlson ont le droit d’exister – là où ailleurs, les journalistes sont emprisonnés ou assassinés, ou que l’on peut l’être pour ses opinions. Les challenges sont ainsi réels et différents. Pour se rassurer sur la nécessité absolue du quatrième pouvoir et de ses libertés les discours brillants de Trevor Noah [4] et de Joe Biden [5] au traditionnel dîner des correspondants de la Maison-Blanche. Dans combien de pays cet échange-là serait-il possible ? Et qui rassurent aussi sur l’intelligence, le respect – sans la complaisance, l’humour, la décence (« decency matters ») et, comme l’a dit quelqu’un, les forces de progrès. Freedom [6] chantait Aretha avec les Brothers. Même s’il y a encore et toujours du boulot.