EPFL : This University is brought to you by Nestlé, in association with Rolex, with official supplier Elca and official partner Logitech

Posté le 2 octobre, 2010 dans finance / eco

Ainsi l’EPFL ressemble de plus en plus à Roland Garros ou à Paléo plutôt qu’à une Alma Mater classique libre et indépendante – et cette mercantilisation gêne et interpelle. Certes une université doit former à la vie active, et cette vie active est pour une très large majorité une activité commerciale dans un monde concurrentiel requérant des compétences et de la performance. Certes une économie a la vitalité que lui apportent ses élites et ses techniciens formés dans les universités et écoles supérieures, et que lui apporte la recherche qui s’y déroule et laquelle a aussi un coût. Certes ce lien et ces partenariats qui se sont créés entre des université et le secteur privé sont utiles, efficaces et participent des conditions cadres de notre prospérité. Un vrai « win-win » comme l’apprennent les écoles de management et autres MBA au demeurant également devenus un business, et tout le monde est beau, gentil et content. M. Aebischer peut faire le beau dans tous les magazines économiques et les dîners aux côtés de patrons à sept ou huit chiffres, et vanter la réussite d’un système qui est sûrement réelle et qui lui doit sûrement beaucoup. Le problème, c’est que l’université n’est pas le laquais de l’économie mais doit aussi produire des contestataires et respecter un principe d’indépendance et de liberté de pensée que de tels partenariats appuyés bousculent. Et que la logique industrielle, fondée sur l’intérêt et le résultat, méprise hélas fondamentalement.

La santé, la durabilité et même la prospérité d’une société ne se mesurent pas qu’en termes économiques. Elles se trouvent dans la qualité de ses débats de société – trouvant un prolongement plus naturel dans les activités politiques et de l’Etat, de l’administration, de la culture, des ONG et des associations, que dans la stricte logique d’entreprise. L’université toutes facultés confondues doit former aussi bien le CEO et le CFO de Nestlé que l’activiste d’Attac ou le biologiste de Greenpeace. Les journalistes et éditorialistes critiques du monde. Les fonctionnaires délivrant ou refusant les autorisations aux industries ou appartenant à des autorités de régulation de tous ordres. Etc. Dans une EPFL à ce point vendue à ses partenaires industriels, sera-t-il toujours possible d’écrire une thèse critiquant l’utilisation d’OGM par Nestlé et susceptible de lui flinguer trois milliards de chiffre d’affaires ? Le cas échéant de concourir sur un tel sujet pour un prix ou pour une bourse offerts par cet industriel ou un autre ? De faire financer un projet de recherche sur les programmes informatiques lésionnaires de la sphère privée alors que c’est l’activité d’un paying sponsor éditeur de logiciels ? Ou un autre encore sur le passé trouble et l’opacité de la Fondation Wilsdorf actionnaire de Rolex – pour ne prendre que trois exemples parmi cent qu’inspirent la page de garde actuelle du site de l’EPFL ?

Nous aimons tous penser que oui, que cette liberté de pensée et d’indépendance n’est pas en péril, qu’il est possible dans un milieu civilisé, intellectuel et éduqué de faire la part des choses, de permettre la libre critique en dépit de certains liens. Mais j’en doute et la réalité est que tel n’est pas vrai, qu’il y a toujours une prévarication intellectuelle, même parfois inconsciente ou subliminale, résultant de tels liens économiques. Et un mépris fondamental et jamais démenti de l’intérêt industriel pour le débat et la contestation qui en sont l’antithèse. De tels liens mettront donc toujours et naturellement en délicatesse les recteurs/doyens/professeurs dont une fraction du salaire est payée par de tels sponsors directs et qui boivent le thé des capitaines d’industrie, de permettre, juger et primer des travaux qui seraient par hypothèse violemment critiques d’un des partenaires de la maison. Toutes les clauses éventuelles en ce sens de beaux contrats de partenariat n’y changent rien. Or l’université est un des seuls lieux où cette indépendance et cette liberté, chères au juriste, au juge, à l’Etat, au philosophe, à l’historien, doivent pouvoir exister, être préservés, développés, entretenus, choyés – dans le cadre de l’éducation supérieure devant elle aussi demeurer totalement libre et riche de toutes ses opinions.  La formation de l’esprit critique et du libre arbitre est une tâche essentiellissime de l’université et tout aussi importante que celle de bons petits soldats techniciens compétents. Ce progrès de l’EPFL n’est-il ainsi finalement qu’une dérive ? A surveiller de vraiment près…

imprimer cet article | Envoyer à un ami | Commentaires fermés sur EPFL : This University is brought to you by Nestlé, in association with Rolex, with official supplier Elca and official partner Logitech | RSS

laisser une réponse