Les politiciens et les gouvernants ont leurs agendas, postures et dialectiques. Ils ont des objectifs qui s’inscrivent dans contextes généraux. Chaque problème donné est traité pour lui-même – et par rapport à la place qu’il tient dans un ensemble. En principe politiciens et gouvernants tiennent compte du cadre juridique d’un problème ou d’un ensemble. Le règlement du contentieux fiscal avec l’Union Européenne, ses pays, ou la France, obéissait à des nécessités de politique étrangère générale. Régler le concret est ensuite plus dur – lorsqu’au-delà des objectifs bien-sentis, les cultures et mentalités sont par trop différentes. La France a une culture fiscale inquisitoriale et autoritaire qui tient à son histoire monarchique et féodale. La Suisse a la sienne ancrée dans l’individualisme, la responsabilité et la sphère privée, celle de l’Etat qui sert le citoyen et qui a ses limites envers lui. De là, la négociation des nouveaux standards de l’entraide fiscale allait immanquablement mener au clash : la France ne comprend pas, parce que ce n’est pas dans sa culture, qu’il faille respecter des conditions et avoir des motifs pour obtenir des informations sur les contribuables, et la Suisse ne comprend pas, parce que ce n’est pas dans sa culture, qu’on puisse simplement demander sans égard à ces conditions. Ces standards étaient ainsi boiteux d’entrée, la France les prenant pour de la garniture sans importance, et la Suisse pour un seuil à respecter vu les abandons consentis dans leur abaissement. Le Tribunal administratif fédéral vient de re-toquer l’Administration fédérale des contributions, et indirectement la France, dans une véritable série de décisions – et, pardon aux politiciens et apparatchiks, bien fait, parce que c’était écrit.
Dans un arrêt A-7076/2014 [2], tout d’abord, c’est le droit d’être entendu qui vaut à la décision d’être déclarée nulle. Pas révolutionnaire. Le droit d’être entendu est une norme fondamentale de nos ordres constitutionnels et de la CEDH. Ce qui est frappant est l’idée qu’en matière fiscale il aurait pu être possible de s’en affranchir. Et c’était ici l’autorité suisse qui avait agi trop précipitamment. Eh bien non – et heureusement. Dans cinq autres arrêts A-6287/2014 [3], A-6600/2014 [4], A-7122/2014 [5], A-7249/2014 [6] et A-7401/2014 [7], les violations reprochées à l’AFC sont multiples – et graves individuellement mais plus encore prises cumulées : accepter des demandes françaises constituant des « fishing expeditions », des demandes sans motifs, non-expliquées, ne pas respecter les droits de partie en termes de délais, et accepter des postulats tirés par les cheveux quant à la compétence. Ce qui inquiète est ainsi une volonté de l’AFC de se soumettre à la pression de la France, du règlement politique du contentieux avec la France voulu par le gouvernement suisse, par un mépris de droits procéduraux qui est contraire à notre ordre juridique et à nos moeurs. Si le TAF n’y succombe pas ni à ce vent général de soumission à des moeurs fiscales qui ne sont pas les nôtres, qui heurtent nos valeurs, eh bien merci à lui et bravo de tenir bon. Il était écrit que ces problèmes allaient se poser, pas nécessairement que nos autorités judiciaires tiennent bon.