Deux délicatesses récentes de la justice pénale genevoise avec les principes, l’une sanctionnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme [1], l’autre pas encore. Dans la première affaire, le Ministère public avait évoqué la culpabilité, selon lui, d’un prévenu dans une ordonnance de classement fondée sur la prescription des faits. Pouvait-il le faire, évoquer une culpabilité en dépit de la prescription – qu’il constata ? Etait-il nécessaire d’évoquer les faits comme établis pour qualifier l’infraction – et constater alors, selon la qualification, la prescription ? La Chambre d’accusation puis le Tribunal fédéral n’entrèrent pas en matière sur une demande de non-lieu ou visant à casser l’ordonnance pour quelle soit ré-émise sans appréciation de culpabilité. Mal leur en prit puisque, à l’unanimité, la Cour a constaté une violation de la présomption d’innocence de l’art 6§2. Pour la Cour, le Ministère public, même classant l’affaire, ne pouvait évoquer d’opinion sur la culpabilité – puisque, précisément, par le classement pour cause de prescription, une culpabilité ne pouvait et n’allait être établie par une autorité de jugement. Une preuve de plus de ce que, parfois, alors que la Constitution fédérale consacre un principe identique à celui de la CEDH, le Tribunal fédéral ne le respecte pas – valant à la Suisse d’être sanctionnée par la Cour. Second sujet, le traitement du grief de violation du principe de célérité par la Chambre pénale de recours de Genève (et le Tribunal fédéral).
En Suisse, nous avons le chic pour draper de mauvaises décisions dans l’apparat de la science ou du sérieux juridiques. Parfois des décisions de fort mauvaise foi ou justice. C’est l’apanage des sociétés juridiquement évoluées : form over substance, le juridisme comme alibi à la démission. Il ne fait doute que le respect du principe de célérité est une obligation de l’Etat. Jusque-là, tout le monde est d’accord. Pour autant, pour faire fi du grief de sa violation, les juridictions suisses ont inventé une obligation du justiciable, du prévenu, de s’en plaindre en cours de route. Cette invention inepte est basée sur l’obligation de bonne-foi procédurale du prévenu. C’est inepte tout d’abord parce que cela fait totalement abstraction de la bonne-foi procédurale, primaire, que lui doit l’Etat, à savoir respecter spontanément ses obligations, a fortiori de rang constitutionnel. Lire ainsi de manière constante « qu’il appartient, en effet, au justiciable d’entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l’autorité fasse diligence, que ce soit en l’invitant à accélérer la procédure ou en recourant, le cas échéant, pour retard injustifié » n’est tout simplement pas juste. Ensuite, c’est imposer au justiciable de râler pour que l’Etat respecte simplement ses obligations constitutionnelles – pour pouvoir s’en plaindre. Mais celui qui se plaint, avec l’intensité atteignant le seuil exigé par nos instances de recours, est alors catalogué comme… râleur voire quérulent. Cette exigence sera un jour elle aussi sanctionnée à Strasbourg.