
Délai raisonnable : Du principe de droits fondamentaux à la réalité de la CourEDH
La lenteur de la justice, bis repetita, est le premier critère d’insatisfaction de ses « clients », lisez des justiciables. Il n’y a pas d’industrie privée et peu de services de l’Etat qui font une telle unanimité de mécontents – ce blog a déjà évoqué (cf., cf. et cf.) les raisons et les facteurs compressibles et incompressibles de ce problème. Au plan du droit un remède, dans toutes les matières mais avec acuité au pénal : l’obligation rendre la justice dans un délai raisonnable. C’est un droit fondamental, tout le monde en convient. Quant à le mettre réellement en oeuvre, c’est bien sûr une autre histoire. Il est possible de s’en plaindre en tant que grief de droit constitutionnel suisse. Mais la sanction apportée à un constat de sa violation est une maigre pitance pour le justiciable excédé, et souvent sans impact sur ce qu’il attend, ou attendait, en termes de concrétisation d’un droit. L’outrage du temps n’est pas facilement réparable dans le monde des mortels – et le temps étant la seule valeur fondamentale. Les tribunaux supérieurs, Tribunal fédéral compris, sanctionnent très rarement les tribunaux inférieurs. Même en Suisse, ce qui est difficilement compréhensible, la violation du délai raisonnable est finalement un droit fondamental davantage théorique ou réservé aux cas crasses qu’une norme de comportement que les autorités judiciaires respectent. Et encore chacun du justiciable et de la justice a-t-il une idée assez différente de ce qui est ou n’est pas un délai raisonnable… Qu’est-ce donc qu’un délai raisonnable ? Une étude de Marc Henzelin et Héloise Rordorf dans le New Journal of European Criminal Law (Vol. 5 /2014 / 01 p. 78) examine la question en matière pénale dans la jurisprudence de la CourEDH.
Henzelin et Rordorf rappellent les sources, les critères et les périodes concernées de la procédure. Que la conduite du justiciable, des autorités et la complexité de la cause ont un impact sur l’examen concret, ainsi que le nombre de degrés de juridiction et la nature de la procédure. Mais venons-en au fait : quand un délai est-il raisonnable ou non en mois et années ? Réponse de normand, ou de vaudois : ça dépend. La fourchette n’est pas rassurante mais évocatrice de la laxité de cette obligation : entre trois ans et neuf mois et seize ans et quatre mois ! Mais l’analyse affine l’appréhension par la Cour. Deux ans par degré de juridiction sont généralement acceptables. Finalement, au total, le délai raisonnable est rarement violé en dessous de trois ans. Entre trois et cinq ans, il le reste en principe sauf retard attribuable à l’autorité ou à l’accusé détenu (?). Au-delà de cinq ans il ne l’est généralement plus, ce qui est bien et devrait être un réel benchmark, mais sauf si l’autorité a été diligente, qu’il y a eu plusieurs degrés de juridiction, que l’accusé est responsable d’une partie du délai ou que la cause était particulièrement complexe. On n’est donc pas bien avancés – autant d’éléments que l’autorité brandira pour sûr. Autant en retenir donc qu’au-delà de cinq ans elle ne l’est plus, ce qui est juste : une personne accusée, et présumée innocente, ne doit pas voir son sort rester en suspens un temps trop long, qu’elle soit acquittée ou condamnée. Cinq ans, dans une vie, qui s’ajouteront le cas échéant à une condamnation, c’est trop long. Et ce n’est pas bien quand des droits fondamentaux sont dilués dans une existence virtuelle, ne reçoivent pas de la part du système le respect qui leur est dû.