
De toute façon dans Madoff y aura toujours rien – petit point de situation et toujours pas si sûr
De toute façon y aura rien – remarque souvent désabusée, à presque deux ans déjà de cette fraude incroyable. Mais pourtant des kilomètres plus loin d’activité juridique intense dans une affaire incroyablement polymorphe et d’une immense complexité. En tant que telle, mais surtout du fait de son déploiement dans des dizaines de juridictions et impliquant plusieurs systèmes juridiques. Un immense laboratoire de droit et de droit international, probablement seulement précédée par celle de la BCCI. Incompréhensible, et vain, tout cela ? Et n’enrichissant désormais ou toujours plus que les avocats (dont 27 millions de dollars pour le liquidateur sur six mois) ? Well, non. Plein de choses. Résumer son état actuel simplement et trivialement ? Pas possible (comme à la SNCF) ? Personne n’y comprend plus rien – sauf les avocats en charge ? Si. Allons-y. En trois paragraphes. Allez, quatre pour une fois. Le liquidateur liquide toujours. Son site et son quatrième rapport vous diront tout le reste. Rappel : environ 20 milliards nets investis, et 65 que les client pensaient avoir en compte chez lui au moment de sa chute – du fait de ses profits. Le liquidateur a examiné 13’400 productions à ce stade et en a admis 2’230, pour un total de 5,6 milliards. L’assurance SIPC paiera déjà 728 millions à ces 2’230 clients, soit limitée à 500’000 $ par tête. Pourquoi 2’230 admises sur 13’400 créances produites ? La différence, soit les écartées, représente deux catégories : les clients indirects, c’est-à-dire au travers de fonds, et ceux ayant retiré plus que ce qu’ils avaient investi, grâce aux profits fictifs mais en réalité avec l’argent des autres, les net winners.
Deux procès sur ces points devant la Bankruptcy Court de New-York. La net equity dispute d’abord. Ce sont les clients qui prétendent à leur état de compte au jour de la faillite, soit qui comprend les profits fictifs. Cela augmenterait alors le passif à 65 milliards. Ils ont perdu en première instance et leur appel est pendant. L’autre touche à la définition de la qualité de client. Le liquidateur n’accepte que les clients directs, ayant eu un compte chez BMIS. Certains clients indirects, c’est-à-dire au travers des fonds feeder, ont contesté cette approche. La cause est pendante en première instance. Au plan des actifs, à ce stade le liquidateur a récupéré 1,5 milliards, pour un passif admis à ce jour de 5,6. Il réclame 15,5 milliards dans le cadre de 19 procès ouverts, au titre de l’action révocatoire, à des anciens clients. Soit parce qu’ils ont retiré plus que ce qu’ils avaient investi, soit parce qu’ils savaient ou auraient dû savoir toucher des profits illicites. Parmi ces défendeurs, tant des particuliers que des fonds feeder. Combien le liquidateur récupérera-t-il sur ces 15,5 milliards ? Dur à dire puisque chaque situation est différente. Certains des défendeurs, les particuliers notamment, ont encore une large partie de ce qu’ils avaient retiré. Pour les fonds, ils ne les ont généralement plus – ces sommes ayant à leur tour été restituées à leurs propres clients. Ces derniers sont-ils ainsi tirés d’affaire même s’ils avaient retiré plus qu’investi ? Eh bien non, ou plutôt pas tous.
Le liquidateur ouvrira également des actions révocatoires, les fameux clawbacks, contre certains, tous ceux dont il aura connaissance selon lui, et contre les fonds eux-mêmes en premier lieu bien sûr. Avant le 10 décembre, sa date limite pour le faire. Certains des clients s’en tireront – pour des raisons juridiques, pratiques ou de fait. Parce qu’ils n’auront pas été identifiés (il y a eu plusieurs dizaines de ces fonds feeder dans plus de six juridictions), que les jugements à rendre ne seront pas tous, ni facilement, exéquaturables dans certains pays, et que certains n’auront plus ces montants ou ne pourront pratiquement pas être poursuivis en exécution forcée. Mais le liquidateur exerce surtout le clawback sur les fonds eux-mêmes – et leurs banques dépositaires. Qu’il ouvre action ou négocie, dans tous les cas il compense(ra) contre eux les montants du clawback avec tout dividende, et en fait aussi dépendre l’admission de leur production. Certains fonds ne pourront répercuter le clawback sur ceux de leurs propres clients ayant récupéré des avoirs (et étant des net winners ou ayant retiré dans les 90 jours précédant la faillite). Parce qu’ils n’en ont pas les moyens juridiques, pratiques, financiers, ou que ces clients sont partis dans la nature. Certains sont néanmoins coincés par le jeu de la chaîne de détention de titres. Le liquidateur attaque le fonds. Le fonds se retourne contre la banque du client apparaissant dans ses registres, directement ou par ses nominees détenant les titres. La banque du client, puisque poursuivie pour son fait, lui bloque alors à son tour ses avoirs auprès d’elle. Rien n’est réglé juridiquement – mais ces clients-là sont en l’état bloqués.
Restent des myriades d’actions en responsabilité de par le monde – Suisse, France, Irlande, Luxembourg, Bermudes, Cayman, Etats-Unis, Autriche, etc. Les clients contre les fonds eux-mêmes, leurs administrateurs, gérants, dépositaires et réviseurs. D’autres clients contre les banques et conseillers leur ayant vendu du Madoff. Des plaintes pénales ici et là et des civil fraud charges aux Etats-Unis. Des actions probatoires. La poursuite de l’enquête et la vente des biens de Madoff (maisons, meubles, bijoux, Steinway et même … boxer shorts), et les actions en restitution du liquidateur contre les membres de sa famille et certains de ses employés. Dernier développement au pénal: deux de ses collaborateurs viennent d’être arrêtés par le FBI. Un grand borzif, un champ de mines et de ruines et de désolation. Certains qui s’en tireront en ayant bénéficié de l’argent des autres. D’autres qui seront poursuivis jusqu’au bout. In fine tout de même : 1,5 milliard en caisse pour 5,6 milliards de passif admis à ce jour. Le passif peut théoriquement grimper à 20 milliards mais ce ne sera pas le cas pour diverses raisons. Plus de 15 milliards d’actions judiciaires pendantes qui en rapporteront tout de même quelques uns. Pour ceux qui y auront droit, le dividende sur le net in, ce que les gens ont vraiment mis, perdu, ne sera donc pas négligeable. Sans compter les indemnisations (en principe des soldes, des différences) que devront verser des tiers assumant une responsabilité. Avec des taux d’intérêts moratoires pouvant aller jusqu’à 8%. Dans Madoff, à la fin, y aura donc pas rien. Just wait.