Absolument chaque fois qu’un politicien ou homme public est mis en cause ou dénonce en justice, il déclame la confiance qu’il a dans la Justice de son pays, qu’elle fera son travail avec indépendance et justesse, et sous-entendu qu’elle lui donnera raison. Posture, fantasme ou tentative de captation de bienveillance ? En tout cas incontournable et caricatural. Et avec le problème majeur que l’adversaire dit exactement la même chose. La réalité est pourtant que ni l’homme public ni la majorité des justiciables ne comprennent réellement le processus judiciaire. Que tous placent en lui des attentes excessives, de l’ordre du fantasme – enfantin – d’une solution binaire et claire, s’imposant d’elle-même sur simple récit du fait à un juge ou à un tribunal omniscient, infaillible et juste. Ce fantasme de justice augmente en tant qu’attente sociétale dans une société qui l’idéalise. Alors que la société actuelle a similairement de plus en plus de peine à admettre l’aléa, le risque, la précarité, l’injustice inhérents à l’existence humaine, le justiciable n’intègre pas davantage les aléas, les risques avec leurs chances, de se retrouver en justice. Et qui sont immenses. Cela est philosophiquement intéressant, mais concrètement inquiétant et dommageable. La réalité est que les aléas que supporte celui qui est en justice sont nombreux et complexes, à l’image du fonctionnement interne du processus judiciaire qu’il faut mieux connaître et appréhender pour évaluer ses risques et ses chances. C’est le préalable posé dans mon livre « Etre efficace en Justice » [1] pour comprendre l’ensemble des marges d’erreurs inhérentes et acceptables du processus judiciaire, comprendre ce qui peut en être attendu avec réalisme et sans fantasme, et comprendre comment améliorer ses chances de prévaloir et évaluer les risques opposés.
Le fantasme de Justice repose sur un double fondement : l’espoir inhérent à la nature humaine, que le protagoniste place dans le fait que le délégataire de la fonction, de la puissance de rendre la justice, concession du Prince à la révolution, le suive plutôt que l’adversaire ; et la vision législative et académique du droit dans laquelle la règle générale et abstraite donne une seule solution, fiable et mécanique, dans son application par syllogisme, à la situation individuelle et concrète en cause. Ce concept est juste. Il est le point de départ. Mais la route jusqu’au point d’arrivée est semée de mille embûches et aléas qui feront que la solution sera, ou pourra, être différente de ce qui est escompté. De fait nombre de décisions judiciaire sont fausses par rapport à la réalité vécue par l’un, parce qu’il a mal apporté les faits en justice, n’a pu les prouver, a présenté des conclusions incomplètes, fausses ou impossibles, n’a pas réussi à faire comprendre son raisonnement juridique, l’a mal formulé, n’a pas eu les moyens de recourir ou d’adopter la bonne stratégie. La complexité de situations de fait, le conflit ou l’incompatibilité de normes juridiques, l’interprétation des normes dans un monde en constante évolution, ou simplement l’erreur, sont la source du résultat statistique qu’une large part des décisions de justice sont… fausses. Par le fait, seulement parfois fautif, du juge, des parties, des avocats, de tiers, des autorités, des jugements sont faux et sont maintenus pour des raisons de pur fait, de procédure ou de moyens, ou d’aléas tels que la mort, la faillite, la maladie, etc…
Ce taux d’erreur, d’imperfection, qui est loin d’être symbolique, n’est pas une défaillance du système. Il est inhérent au fait qu’il fonctionne, qu’il remplisse sa mission, que la décision rendue vaut mieux que pas de décision ou qu’une justice propre. Ce qui fait un Etat de droit n’est pas une infaillibilité impossible du système. C’est un taux élevé ou raisonnable de sécurité du droit – signifiant du processus législatif à son application et à son exécution, et l’absence de corruption du système. Ce constat n’est donc pas déprimant. Il est celui d’une justice à visage humain – avec ses erreurs, ses aléas et ses risques, mais aussi ses chances, ses réponses et ses résultats. Il suffit juste de le savoir, de le comprendre, pour ne rien en attendre de trop, et surtout pas que la justice aille vite, mais ne pas renoncer non plus ou pour autant à faire valoir ses droits. Et le sachant, d’appliquer un certain nombre de recettes liées au fonctionnement interne et intime du système pour augmenter, maximiser ses chances de prévaloir. Ce sont celles de mon livre, parmi d’autres – et donc bien au-delà de la simple posture ou profession de foi simpliste qu’il faut avoir confiance en la justice de son pays. Même si cela est en principe vrai.