« Dans Madoff, de toutes façons il n’y aura rien ». Pas si sûr. Trois décisions de justice américaines récentes dont celle sur les montants à prendre en compte dans les productions

Posté le 3 mars, 2010 dans finance / eco

Plus grand monde ne parle de Madoff au quotidien, non qu’il ne se passe rien, bien au contraire. De nombreuses procédures vont leur voie en Suisse et ailleurs, se hâtant plus ou moins lentement. Et combien de fois avons-nous entendu l’affirmation péremptoire et désabusée que de toutes façons, dans Madoff, il n’y aurait rien à la sortie – sinon, perte et outrage ultime, enrichir les avocats. C’était faux ab initio mais cela se confirme, comme le fait que cette affaire est, au-delà du désagrément voire du drame pour les victimes, un laboratoire juridique transnational extraordinaire. Comme avait pu l’être il y a vingt ans celle de la BCCI. Trois décisions new-yorkaises toutes récentes donnent une idée de ton pour la suite : La motion to dismiss de l’apporteur d’affaires Cohmad a été accueillie le 1er février à l’encontre la plainte formée contre eux par la SEC pour securities fraud. De nombreux professionnels ayant apporté des fonds de clients à Madoff s’en sont réjouis. Leur bonheur relatif a néanmoins été de courte durée. Le 8 février Ezra Merkin, gérant de hedge funds dont les avoirs étaient confiés à Madoff, a perdu la sienne contre le Procureur général Andrew Cuomo l’accusant entre autres de securities fraud également et de breach of fiduciary duty. Un partout la balle au centre. Puis le 1er mars, jugement très attendu de la Bankruptcy Court, il a été tranché que le trustee de la faillite de BMIS avait raison de prendre en compte au titre de productions dans la faillite les montants nets perdus par les investisseurs. Et donc non les montants résultant des relevés au jour de la faillite lesquels comportaient les profits accumulés mais fictifs.

Evidemment, les deux premières décisions le sont dans le cadre particulier et préliminaire de la motion to dismiss, c’est-à-dire avant instruction complète et sans lier ensuite la Cour. Dans le premier cas, la Cour a estimé que la SEC ne démontrait pas que Cohmad (et ses associés-gérants), en tant qu’apporteur d’affaires, connaissait la fraude perpétrée par Madoff, condition de l’action en cause. Cela en dépit de diverses anomalies notamment comptables mais non-causales quand à la fraude elle-même. Et la Cour de relever que l’activité d’apporteur d’affaires rémunéré est en tant que telle licite. Premier bon move et première victoire d’étape pour Cohmad – mais la SEC a néanmoins la faculté de redéposer une plainte modifiée. A suivre donc. Dans le second cas, Ezra Merkin, et ses hegde funds Gabriel, Ascot et Ariel, ont perdu la leur contre les charges exprimées par le Procureur général. La situation est différente puisque la Cour retient que Merkin avait caché à ses clients investir l’essentiel des fonds chez Madoff, avait caché les différentes casquettes de Madoff à la fois gérant, broker, dépositaire, et menti délibérément sur certains de ces points en prétendant au contraire gérer et diversifier alors que tel n’était pas le cas. Différence essentielle également dans les faits, là où Cohmad touchait simplement une commission d’apporteur d’affaires, les fonds Merkin touchaient outre une commission de gestion de 1% une commission sur la performance de 20%. Ces commissions en ont fait l’un des plus importants receleurs de la fraude puisqu’alors que les clients ont perdu $ 1,2 milliard, Merkin et les fonds en encaissaient pour $ 470 millions. Plus juridiquement, la Cour retient deux points relativement logiques : certaines anomalies dans le modus operandi de Madoff devaient être reconnus comme des indices de fraude par Merkin, et des décharges de responsabilité (cautionary language) sont inopérantes sur les misrepresentations conscientes.

Dans la troisième, le juge a confirmé que le liquidateur de la faillite de BMIS devait prendre en compte au titre de productions dans la faillite les pertes effectives subies par les victimes, soit ce qu’elles ont versé moins ce qu’elles ont retiré – par opposition à ce qu’elles pensaient détenir au jour de la faillite. Cette décision sera in fine portée devant la Cour d’appel du 2ème Circuit. Le juge a néanmoins solidement motivé sa décision tant en droit, référence faite aux travaux législatifs, qu’en termes pratiques et en équité. Il a relevé que retenir les soldes au jour de la faillite reviendrait à faire dépendre le dividende de situations de profits n’ayant jamais existé, et laissant Madoff décider puisqu’il créditait les comptes de ses clients de rendements très inégaux. Cette décision est juste, tout le monde la pressentait – mais encore fallait-il qu’elle soit rendue. Elle met fin, en tout cas dans une large mesure, à la petite part d’incertitude. Dès lors, le passif sera établi sur la base des apports nets moins les retraits, et probablement trois ou quatre fois inférieur aux $ 65 milliards d’actifs que les clients pensaient détenir au jour de la faillite. Et du coup, le dividende pourrait être de l’ordre de 50%. C’est une bonne nouvelle pour ceux qui avaient investi récemment – et n’ont pas d’écart important entre le montant investi et les derniers relevés. C’est une mauvaise mais logique et juste nouvelle pour ceux qui ont rédempté dans les fonds ou procédé à des retraits – lesquels seront pris en compte contre le net in voire soumis au clawback. Dernière nouvelle intéressante, il y aurait à ce stade (données au mois d’octobre 2009) 2’335 net losers contre 2’568 net winners. Preuve s’il en est que certains ont bénéficié du vol de l’argent des autres.

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